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Feuilleplume
22 juin 2015

PNJ IRL #3

Une nouvelle inspirée de l'univers de Fabien Fournier, plus particulièrement de Néogicia et de Noob, mais qui peut aussi se lire sans connaître ces deux oeuvres.

Le destin étrange d'un... personnage de jeu vidéo ?

Pour les néophytes : PNJ = "personnage non joueur" d'un jeu vidéo, qui donne généralement une quête au héros incarné par le joueur et répète toujours les mêmes phrases.
IRL = "in real life" ("dans la vie réelle")

DEBUT

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Des flammes. C'est ainsi que tout a commencé.

Au début, le feu ne m'a pas fait peur. C'était plutôt joli à regarder. Ça dansait et ça me réchauffait agréablement. Mais plus ça grandissait, plus il faisait chaud. Et puis, il y a eu la fumée. Elle m'a piqué le nez et la gorge. Alors, j'ai crié. Où étaient mes parents ? Pourquoi ne venaient-ils pour me réconforter et pour tout arranger, comme quand j'avais faim ou soif ou que mes langes étaient sales ou que j'en avais assez d'être seule dans mon berceau ? Maintenant, j'avais peur et j'avais mal. J'ai crié plus fort. Beaucoup plus fort. Mais ils ne sont pas venus. Ils ne sont plus jamais venus.

Des années plus tard, quand elle a estimé que j'étais en âge de comprendre, la directrice de l'orphelinat, madame Mispony, m'a expliqué que ce jour-là, nos ennemis de la Coalition avaient franchi la frontière, non loin du village où vivait ma famille, et que comme ils étaient très cruels – ça voulait dire vraiment très, très méchants et sans cœur – ils avaient tué presque tout le monde et mis le feu aux maisons. Parmi tous les gens qu'ils avaient ainsi massacrés – ça voulait dire tués très méchamment – il y avait mes parents. C'est pour cela qu'ils n'étaient pas venus à mon secours. Ils ne m'avaient pas abandonnée.

Par chance, une légion de nos braves soldats impériaux s'entraînait non loin du village. Dès qu'ils aperçurent la fumée de l'incendie, ces vaillants héros s'étaient précipités sur les lieux. Ils avaient mis en fuite leurs adversaires, qui étaient des lâches en plus d'être des monstres, s'énerva madame Mispony. Ils avaient alors essayé de sauver les rares villageois survivants. C'est leur courageux capitaine lui-même qui, entendant les cris d'un bébé, n'avait pas hésité à plonger dans une maison en flammes pour le sauver. C'est ainsi que j'avais miraculeusement échappé à la mort horrible qui m'attendait.

Encore toute émue par le récit de ce sauvetage héroïque, madame Mispony s'était bruyamment mouchée avant de désigner une boîte en carton posée sur son bureau, sur laquelle étaient inscrits mon prénom ainsi que la date de mon arrivée à l'orphelinat. Elle m'expliqua, avec un profond soupir de regret, que les habitants de ce malheureux village se tenaient un peu à l'écart des règles de notre glorieux Empire. Par exemple, mes parents ne s'étaient pas souciés de se faire légalement identifier ni de déclarer ma naissance. Peut-être avaient-ils fui la Coalition et avaient-ils eu peur de la réaction de l'administration impériale, en dépit des campagnes régulières d'accueil de réfugiés... Quoi qu'il en soit, le résultat était qu'on ne savait rien sur ma famille ni ses origines. La seule chose que j'avais hérité de mes parents, c'était mon prénom. Pour me le prouver, la directrice ouvrit la boîte et en sortit le maigre contenu : quelques vêtements de bébé et, surtout, une fine gourmette en or où étaient gravées quatre lettres : ALYA.

A ce moment précis, la première émotion bouleversante de ma jeune existence m'avait envahie. Ce petit bijou signifiait que non seulement mes parents ne m'avaient pas abandonnée, mais aussi qu'ils m'avaient profondément aimée. Parmi mes camarades, peu avaient eu cette chance...

Instinctivement, je tendis la main vers ce précieux témoignage d'une famille autrefois unie. Gentiment, madame Mispony me laissa le tenir quelques instants. Mes yeux étaient tellement pleins de larmes que ma vue était brouillée, mais en même temps, je me sentais heureuse. Je souriais tout en sanglotant. Quand je fus un peu calmée, la directrice me reprit doucement la gourmette et la remit dans le carton. Elle m'expliqua, là encore avec regret, que certains des pensionnaires de l'institution – elle ne prononçait jamais le mot d'orphelinat, je crois qu'il la rendait trop triste – risqueraient de me le voler si elle me le donnait maintenant. Il valait mieux attendre que je sois en âge de gérer moi-même ma vie hors de ces murs. Bien sûr, je fus déçue, mais je savais aussi qu'elle avait bien raison de se méfier...

Si nous avions su que le danger ne vient pas toujours de là où on regarde... Maintenant, je le sais, bien sûr. Je sais ce qui attend la petite fille innocente et naïve que j'étais, tout comme je sais que je ne peux plus rien changer à l'acte irréparable que j'ai fini par commettre. Lui aussi, il fait partie de moi, mais c'est encore un peu trop tôt pour ce souvenir...

Je laisse dériver un instant ma conscience désincarnée dans le doux flot de ces paisibles années d'enfance, emplie d'une infinie reconnaissance pour cette chère madame Mispony. Nous étions les enfants qu'elle n'avait jamais eus, et aussi longtemps qu'elle le put, elle vécut pour nous sans jamais penser à elle. Vous qui avez été ma mère, vous qui l'avez remplacée, je ne vous oublierai jamais.

Hélas, les années ont passé...

Et un jour, alors que j'étais à peine adolescente, l'administration impériale qu'elle admirait tant déclara que le temps était venu pour la directrice de l'orphelinat de prendre sa retraite et d'être remplacée par une autre : madame Hétaira.

Dire que ce fut un changement radical ne serait encore qu'un euphémisme. Pourtant, madame Hétaira n'avait pas vraiment une personnalité opposée à celle de madame Mispony. En fait, on aurait plutôt dit qu'elles n'appartenaient tout bonnement pas au même monde. Elles étaient absolument étrangères l'une à l'autre, et bien qu'elles parlaient la même langue, je ne pense pas qu'il leur était réellement possible de se comprendre. Le mode de pensée de l'une était, en quelque sorte, totalement imperméable à celui de l'autre.

Après les premières réticences inhérentes à ce changement de direction – dans tous les sens du terme – j'avoue que, comme les autres pensionnaires, je fus subjuguée par cette Femme. Elle était d'une beauté éclatante, d'une élégance insolente, d'une intelligence manipulatrice. Elle maîtrisait à la perfection l'art de se vêtir et de se maquiller pour sublimer le moindre de ses atouts et effacer complètement un éventuel défaut, défaut qui ne pouvait de toute façon qu'être insignifiant face à tant de splendeurs. Bien vite, elle devint notre idole, notre modèle, celle à qui il fallait plaire.

Tant d'admiration béate aida beaucoup madame Hétaira à faire passer ce qu'elle appelait « les nécessaires petites réformes du système ». Elle en parlait toujours d'un ton solennel et avec des accents désespérés dans la voix, pour mieux nous convaincre que tout cela était imposé par une force extérieure qu'elle appelait « l'autorité administrative », dont elle prétendait n'être que l'infortunée messagère. Comment aurions-nous pu lui en vouloir ? Elle n'y était pour rien, ce n'était pas de sa faute !

Elle nous embobina si bien qu'aucun de nous ne se demanda comment faisait madame Mispony...

Pourtant, quelques mois à peine après le départ de l'ancienne directrice qui lui avait voué tant d'années de sa vie, l'orphelinat était devenu presque méconnaissable. Le plus flagrant, c'était lors des repas. Le pain avait progressivement remplacé brioches et gâteaux, le jus de fruits frais du matin était de plus en plus dilué, et il fallait chercher la viande et les légumes sous les tas de pommes de terre, pâtes ou riz qui, en revanche, étaient servis en abondance avec toujours la même sauce insipide. Le pire, c'était le soir, avec l'institution de la redoutable « soupe de restes » à l'aspect et au goût incertains. Elle se buvait très chaude, sous peine de former une croûte douteuse en refroidissant.

Toutefois, si madame Hétaira parlait avec des trémolos dans la voix de ces terribles mais inévitables restrictions budgétaires imposées à tous, elle était mystérieusement épargnée par leurs effets. Ainsi, le bureau de la direction, autrefois meublé avec simplicité, était désormais paré d'un luxe assez clinquant. Outre les épais tapis et les fauteuils confortables, des dorures avaient fait leur apparition un peu partout. Ce n'était plus un bureau mais un écrin destiné à auréoler d'or et de splendeur l'étincelante propriétaire des lieux. Y entrer vous donnait l'impression que vous alliez rencontrer une fabuleuse princesse et non la directrice d'un petit orphelinat de province.

Mais d'autres changements, s'ils étaient moins visibles, étaient peut-être plus profonds encore. Je ne sus pas exactement quand ni avec qui cela commença. Les premiers signes que je remarquai ne me parurent pas très significatifs. Parmi mes camarades, je vis d'abord une fille arborer fièrement une parure de bijoux, une autre une très jolie robe – avec les chaussures assorties ! – puis un garçon se vanter de sa nouvelle montre perfectionnée...

Ce favoritisme attira vraiment mon attention quand fut instauré le double service au réfectoire. Si la majorité d'entre nous se contentait d'une nourriture simple et bourrative,  quelques privilégiés, à une table soigneusement séparée des autres, se voyaient servir des plats appétissants et, surtout, des desserts dont la vue et l'odeur me faisaient saliver. Evidemment, personne ne se rebella contre cette discrimination : nous avions tous bien trop envie de faire partie des heureux élus sur des critères qui, s'ils demeuraient en grande partie secrets à mes yeux, semblaient basés sur la capacité à rentrer dans les bonnes grâces de madame Hétaira... mais comment ?

J'allais tant regretter de découvrir la réponse à cette question...

 

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Incursion dans un autre monde

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