Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Feuilleplume
20 juillet 2015

PNJ IRL #7

Une nouvelle inspirée de l'univers de Fabien Fournier, plus particulièrement de Néogicia et de Noob, mais qui peut aussi se lire sans connaître ces deux oeuvres.

Le destin étrange d'un... personnage de jeu vidéo ?

Pour les néophytes : PNJ = "personnage non joueur" d'un jeu vidéo, qui donne généralement une quête au héros incarné par le joueur et répète toujours les mêmes phrases.
IRL = "in real life" ("dans la vie réelle")

DEBUT

PAGE PRECEDENTE

 

Trépignant d'impatience, j'enlevai la boîte d'à côté pour réussir à dégager celle que je convoitais. Je la posai sur le bureau pour en extraire le contenu plus à mon aise. Il y avait d'abord tout un tas de papiers administratifs, donnant l'impression qu'il s'agissait véritablement d'un simple dossier aussi épais que rébarbatif, mais j'étais tellement sûre de moi que cela ne me fit aucunement douter. J'avais bien raison : entre deux piles de documents divers, était glissé une sorte d'agenda d'écolier, a priori on ne peut plus banal. Mais quand je l'ouvris, je vis au premier coup d'œil qu'il n'avait rien, absolument RIEN à voir avec un banal agenda.

Sur chaque double page, il y avait une date, assortie du nom et de la qualité d'une personne. Suivait, soigneusement alignés en deux colonnes, une liste de dates avec, en face, des prénoms que j'identifiai comme ceux des membres du « programme de rapprochement social ». Souvent, à côté du nom, était ajouté un encart contenant des annotations qui ne me laissèrent plus aucune illusion quant à la forme exacte de ce « rapprochement »...

Effarée, je vis défiler, au fil des pages que je feuilletais avec un dégoût grandissant, des noms de personnalités influentes, parfois célèbres et, bien entendu, toujours riches. Un puissant banquier aimait apparemment les jolies blondes soumises ; un général réputé pour ses victoires contre la Coalition semblait vouloir qu'on le traite comme un chien, avec muselière, laisse et cravache pour le punir... Mais le pire, pour moi, fut de découvrir, sur la double page consacrée à un juge qui vouait un culte aux gros seins – j'en avais déjà vu un autre qui affectionnait les garçons très jeunes d’apparence – le nom de Bilana. Il apparaissait quatre fois. La première date coïncidait avec la veille du jour où je l'avais trouvée si mal, prostrée dans sa chambre. Quant à la dernière... c'était la veille du jour où elle s'était donné la mort.

Je me sentis intensément coupable. Comment avais-je pu ne rien comprendre ? Quelle idiote j'avais été de croire que c'était sa relation avec Giovan qui était responsable de sa détresse ! D'ailleurs, me dis-je avec colère, il n'était pas non plus innocent : de toute évidence, il servait de rabatteur à madame Hétaira, séduisant de nouvelles proies pour son cheptel de filles, qu'elle vendait ensuite sans scrupule à toutes ces pourritures fortunées ! Mais comment, COMMENT avais-je pu être aussi aveugle et stupide, au point de vouloir à tout prix faire partie du groupe des favoris de cette femme répugnante ?

Comme en écho à mes pensées, la directrice apparut soudain devant moi. Toute à mon indignation, j'en avais oublié de dissimuler la lumière de ma lampe de poche, et elle avait dû la voir par les fenêtres du bureau, situées juste en face de ses appartements privés.

La scène qui suivit me parut aussi absurde qu'irréaliste. Si j'avais dû l'imaginer, je me serais décrite portant des accusations d'une voix glaciale, ou vociférant de colère, ou me répandant en pleurs incontrôlables... Mais la réalité est souvent bien plus complexe que la fiction. Tout un tas d'émotions et de pensées contradictoires se bousculèrent dans ma tête en quelques secondes à peine. Madame Hétaira était responsable de tout, et je me sentais désagréablement coupable, et certains y trouvaient leur intérêt, et tout ce système pourri me répugnait, et est-ce que j'aurais supporté de participer à ces soirées particulières, et il fallait qu'ils payent pour la mort de Bilana, et...

J'éprouvai presque du soulagement quand elle prit la parole. C'était plus facile d'être dans la réaction que de décider comment agir. Malgré tout, mon esprit troublé ne facilitait pas ma concentration. J'aurais été incapable de répéter exactement les propos de la directrice, mais en gros, elle me fit miroiter les avantages que j'aurais si je taisais ma découverte ou, mieux encore, si j'entrais dans le cercle. Après tout, elle avait cru comprendre que j'avais comme objectif de faire partie des privilégiés. Grâce à elle, j'aurais une chance de me faire une place dans la haute société, j'aurais de beaux vêtements, des bijoux... Et si je savais m'y prendre, ce dont elle ne doutait pas au vu de mon intelligence, je pourrais me tailler une belle part du gâteau !

Ce serait mentir que de prétendre que je ne fus pas tentée, mais tout à coup, son image du gâteau me rappela les bons desserts auxquels seuls avaient droit ses chouchous à la cantine, tandis que les autres, dont je faisais partie, en étaient réduits à baver d'envie bêtement, sans voir le piège, comme des animaux qu'on appâte pour les mettre en cage. Tant de désinvolture et de mépris pour notre humanité me révolta avec une intensité qui me submergea.

Je brûlai d'envie de l'insulter, de l'humilier par une répartie cinglante et cruelle, mais à quoi bon ? De toute évidence, madame Hétaira n'avait aucune conscience que j'aurais pu atteindre. Alors, sans un mot, j'enlevai la petite bague que Bilana m'avait offerte, son premier cadeau dont elle ne savait pas encore qu'il était empoisonné, et je lui jetai violemment au visage.

Ce geste brutal auquel elle ne s'attendait pas la mit dans une rage folle. Elle me sauta littéralement à la gorge et me serra le cou, en sifflant haineusement que je n'étais qu'une idiote qu'on retrouverait pendue à cause du désespoir d'avoir perdu sa meilleure amie. A demi renversée sur le bureau et coincée par sa poigne que la hargne rendait d'une incroyable force, j'étais incapable de me débattre efficacement pour lui échapper. Suffoquant déjà, je cherchai à tâtons un éventuel moyen de me défendre. Mes doigts se refermèrent sur un simple crayon que, dans un ultime effort, je parvins à planter de plusieurs centimètres dans le bras de la directrice, qui me lâcha avec un cri de douleur.

Que j'ose lui résister l'enragea encore plus. C'est le regard fou et quasiment la bave aux lèvres qu'elle s'empara d'une grande paire de ciseaux. Bizarrement, une partie de moi contemplait la scène avec détachement, et je me demandai de quelle façon elle allait maquiller cela en suicide, tandis qu'elle plongeait son arme improvisée dans ma poitrine.

Je me raidis instinctivement dans l'attente de la douleur, mais je ne ressentis en fait qu'un choc. Je ne sais pas comment, à cet instant, je pus avoir autant de présence d'esprit, mais je compris immédiatement que c'était le gros volume des aventures de ma chère détective qui avait encaissé le coup à ma place. Madame Hétaira, en revanche, eut un moment de flottement en ne me voyant pas pisser le sang et m'écrouler.

Je ne lui laissai pas le temps de se ressaisir. J'arrachai les ciseaux du bouquin et je les lui plantai dans le corps. Elle hurla et tenta de reculer, mais je tenais toujours les ciseaux crispés dans ma main. Mon esprit se brouilla pendant que je la frappai encore et encore et encore et que ses hurlements devenaient gargouillis puis silence.

Je pense que tous ceux qui accoururent en entendant nos bruits de lutte doivent encore se souvenir parfaitement du macabre spectacle auquel ils assistèrent cette nuit-là. En tout cas, tous témoignèrent de leur incompréhension horrifiée en me voyant,
couverte de sang, l'air hagard, debout au-dessus du cadavre mutilé de madame Hétaira...

 

PAGE SUIVANTE

 

Incursion dans un autre monde

Publicité
Publicité
Commentaires

robocop-unicorn

Publicité
Newsletter
Feuilleplume
Publicité