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Feuilleplume
31 août 2015

PNJ IRL #13

Une nouvelle inspirée de l'univers de Fabien Fournier, plus particulièrement de Néogicia et de Noob, mais qui peut aussi se lire sans connaître ces deux oeuvres.

Le destin étrange d'un... personnage de jeu vidéo ?

Pour les néophytes : PNJ = "personnage non joueur" d'un jeu vidéo, qui donne généralement une quête au héros incarné par le joueur et répète toujours les mêmes phrases.
IRL = "in real life" ("dans la vie réelle")

DEBUT

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Après cet événement, tous les scientifiques du centre ne se consacrèrent plus qu'à la résolution de ce mystère. Ce fut une période très intense en théories plus ou moins fumeuses et en utilisation des ressources magiques des prisonniers, dont l'effectif dut être remplacé à un rythme plus soutenu que d'habitude. C'est à ce moment-là qu'en plus des terroristes de la Coalition qu'on parvenait à capturer, on commença à « recycler » des condamnés à mort impériaux.

Quelques semaines plus tard, les chercheurs s'accordèrent sur la seule théorie qui avait résisté aux critiques et aux expérimentations les plus diverses. L'anneau censé canaliser la résonnance entre magie et technologie ouvrait en fait un portail sur un autre monde, par lequel il y puisait une énergie remarquablement puissante, non seulement capable de régénérer en quelques instants une rosaphir déchargée, mais aussi utilisable comme source d'alimentation directe.

Au fil du temps, le dispositif progressa. On maîtrisa de mieux en mieux le processus de connexion avec ce monde étranger et on récupéra des quantités d'énergie croissantes tout en diminuant considérablement l'usure et la perte des cobayes.

Mais aussi, et surtout, on apprit progressivement à connaître cet autre monde et, dans une certaine mesure, à exercer sur lui une influence certes légère, mais déterminante, qui s'était concrétisée dans le Plan Horizon.

La bizarrerie la plus notable et étonnante de cet endroit, c'est qu'il semblait à la fois dépourvu de magie et de rosaphir. Pourtant, ses habitants – dont l'apparence ressemblait énormément à celle des Olydriens – étaient parvenus à développer une forme de technologie, aussi incroyablement puissante et répandue que radicalement différente de celle de l'Empire.

Keynn Lucans, évidemment tenu au courant de cette découverte majeure, avait laissé le champ libre à ces recherches à une seule condition impérative : rester discret. Il était hors de question de se faire repérer par ce monde. Le risque qu'il ouvre à son tour un portail vers Olydri était trop grand et l'Empereur voulait éviter à tout prix une éventuelle confrontation.

Au fil des expérimentations dans les semaines qui suivirent, les chercheurs firent de considérables progrès. Ils apprirent à manipuler le portail pour qu'il leur montre ce qu'ils souhaitaient voir, au lieu de s'ouvrir au hasard. Une équipe fut spécifiquement dédiée à cette tâche, afin d'en apprendre le plus possible sur cette civilisation étonnante et complexe. Elle découvrit que les habitants de cette planète étaient divisés en nombreux pays et qu'ils parlaient à peu près autant de langues différentes, ce qui n'allait pas faciliter leur compréhension. Il fut donc décidé de se consacrer d'abord à la connaissance de la première contrée découverte.

Deux linguistes choisis par l'Empereur en personne rejoignirent la base pour se consacrer à ce travail considérable de décryptage d'un langage totalement étranger. Leurs compétences devaient être réelles, car bientôt, ils furent en mesure d'établir une liste de vocabulaire essentiel et quelques règles grammaticales basiques, qui s'étoffaient de jour en jour. Entre autres choses, ils apprirent par exemple que ce monde s'appelait « Terre ».

Pendant ce temps, une autre équipe s'efforçait de comprendre et d'améliorer le processus de transmission d'énergie qu'ils avaient constaté lors de la première tentative du professeur. Il fut très vite établi que seul un individu lié aux flux magiques d'Olydri pouvait être utilisé dans ce but. Avec un Néogicien, il ne se passait strictement rien. Aucun portail ne s'ouvrait vers où que ce soit.

Aniel Akson jubilait : enfin, ses théories controversées sur le lien entre magie et technologie se vérifiaient, qui plus est d'une façon spectaculaire et utile. Il s'attela à la mise au point d'une machine capable non seulement de transmettre au fur et à mesure l'énergie générée à une rosaphir déchargée, mais surtout de créer un nouveau type de réceptacle. Si la première partie fut relativement facile à réaliser, il en alla autrement pour la seconde. Inventer un dispositif pouvant stocker une grande quantité d'énergie puis la restituer à la demande, voilà un nouveau défi à la hauteur de son génie ! S'il y parvenait, l'Empire ne serait plus soumis aux limites de sa dépendance à la rosaphir. Il pourrait étendre sa domination sur tout Olydri, et les arrogants Néogiciens devraient reconnaître l'utilité de la magie que certains méprisaient tant. Le professeur était prêt, s'il le fallait, à consacrer chaque jour de sa vie à la réalisation de son rêve. Peu importait le fait que jusque-là, chaque essai se fût soldé par un échec cuisant.

– Et donc toi, tu travailles avec le professeur pour créer ce fameux réceptacle révolutionnaire ? demandai-je à Samtha.

Pas tout à fait, me répondit-elle. Elle s'occupait plus spécifiquement du lien entre Olydri et la Terre, notamment des personnes servant de cobayes, afin d'optimiser la production d'énergie tout en évitant de se faire repérer. Au sein de la base, c'était la section nommée « PNJ IRL ».

Devant mon air ahuri, elle m'expliqua ce dont il s'agissait exactement. Pour cela, il fallait d'abord qu'elle me parle du contact inattendu avec un Terrien, à l'origine de l'ensemble du Plan Horizon.

Cela se produisit environ neuf mois après l'ouverture du premier portail vers la Terre. L'équipe d'exploration profitait de la nuit terrienne pour en savoir plus sur les mœurs nocturnes des habitants d'une grande ville quand soudain, alors qu'elle recensait un dormeur de plus, le magicien utilisé avait réagi de manière totalement inhabituelle. Alors qu'il n'était bien sûr pas au courant des travaux menés par les linguistes, il s'était mis à parler la langue de ce peuple terrien. Le plus incroyable, c'est qu'au travers du portail, le dormeur de l'autre monde fit exactement la même chose. Par sécurité, on arrêta immédiatement l'expérience. Aussitôt, le cobaye s'était retrouvé plongé dans l'espèce d'état de transe qui se produisait toujours à la fermeture du passage entre les deux mondes.

Lorsqu'il reprit connaissance quelques heures plus tard, il fut interrogé sans grand espoir ; sans doute ne gardait-il aucun souvenir de l'étrange lien qu'il avait partagé un moment avec ce Terrien endormi. Quelle ne fut pas la surprise des chercheurs en constatant qu'au contraire, sa mémoire était intacte à ce sujet ! Il expliqua qu'il avait soudainement eu l'impression que son esprit s'élevait hors de son corps et entrait en contact avec celui de l'extra-olydrien. Il avait alors eu accès à ses pensées, et il se souvenait encore de tout, comme si cela faisait désormais partie intégrante de sa propre personnalité. C'est ainsi qu'il avait pu lui parler dans sa langue, qu'il connaissait à présent aussi bien que lui. D'ailleurs, cela le perturbait pas mal, car certains des mots qu'il avait appris se référaient à des objets ou des concepts qui lui étaient parfaitement inconnus...

Averti de l'événement, l'Empereur demanda qu'une enquête discrète soit menée sur les conséquences de cette « intrusion » involontaire. Il en ressortit que le Terrien pensait qu'il s'agissait d'un rêve, dont il garda cependant une trace écrite, quelques mots griffonnés dans un carnet : « Idée de scénario pour le MMORPG : civilisation divisée en trois factions / magie contre technologie / pierre mystérieuse source d'énergie ».

Je ne pus m'empêcher d'interrompre à nouveau le docteur Samtha Karter.

– Le MMO quoi ?

C'était aussi ce que les chercheurs s'étaient demandé, mais Saryü, l'homme qui était inexplicablement entré dans l'esprit du Terrien, avait pu fournir la réponse : il s'agissait d'une sorte de jeu qui se passait dans un monde virtuel et qui pouvait réunir jusqu'à plusieurs millions de joueurs. Chacun de ceux-ci devait, en incarnant un personnage imaginaire de son choix, nommé « avatar », accomplir un certain nombre de quêtes pour progresser dans l'histoire du jeu, soit seul, soit en groupe avec d'autres joueurs, le tout au rythme qu'il voulait. Pour l'aider dans sa tâche ou lui confier des quêtes plus ou moins longues, complexes et importantes, le joueur avait également affaire à des « PNJ », en clair des « Personnages Non Joueurs », c'est-à-dire des créatures artificielles programmées pour répéter certaines actions et paroles à chaque joueur interagissant avec elles. Apparemment, ces jeux étaient très divertissants et passionnants, car ils rencontraient beaucoup de succès auprès d'un large public.

Tout cela était bien beau, mais le professeur Aniel Akson ne voyait pas vraiment quel intérêt cela pourrait présenter pour ses expériences visant à concurrencer, sinon à remplacer la rosaphir, et surtout à faire comprendre à la société néogicienne que contrairement à ce qu'elle prétendait, technologie et magie n'étaient pas incompatibles.

En revanche, le docteur Karter avait une toute autre vision des choses. Non pas qu'elle remit en cause le lien entre magie et technologie : si elle avait pu éprouver quelques doutes à son arrivée à la base, le dispositif du portail entre Olydri et la Terre prouvait qu'il en existait bel et bien un. D'ailleurs, c'est même elle qui l'avait baptisé « technomagie », dénomination qui avait évidemment enthousiasmé le professeur. Il l'employait si souvent que l'Empereur Lucans, pour lui rendre hommage, lui avait offert un certificat, encadré de bois noir et d’un liseré d’or, et portant l'inscription :

Au Professeur Aniel AKSON
Fondateur de la Technomagie
avec la reconnaissance de l'Empire

Inutile de dire que ce cadre trônait fièrement dans le bureau de l'intéressé !

 

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Incursion dans un autre monde

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24 août 2015

PNJ IRL #12

Une nouvelle inspirée de l'univers de Fabien Fournier, plus particulièrement de Néogicia et de Noob, mais qui peut aussi se lire sans connaître ces deux oeuvres.

Le destin étrange d'un... personnage de jeu vidéo ?

Pour les néophytes : PNJ = "personnage non joueur" d'un jeu vidéo, qui donne généralement une quête au héros incarné par le joueur et répète toujours les mêmes phrases.
IRL = "in real life" ("dans la vie réelle")

DEBUT

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Cela avait débuté un peu plus de dix ans auparavant. Un éminent scientifique à l'intelligence véritablement exceptionnelle, Aniel Akson, s'était fait remarquer en prenant des positions pour le moins à contre-courant de la société impériale. Il n'hésitait pas à déclarer en public que c'était une erreur pour les Néogiciens de se couper totalement de la magie qui imprégnait Olydri, et que l'usage exclusif de la technologie serait une impasse à long terme. Il affirmait aussi, à qui voulait l'entendre, qu'il regrettait amèrement ses anciens pouvoirs magiques, et il allait jusqu'à dénoncer l'ostracisme dont faisait preuve l'autorité impériale envers ceux qui en étaient encore pourvus.

Au départ, par respect pour le brillant génie du professeur, cette même autorité impériale avait fait mine de ne rien remarquer, mais très vite, certains s'offusquèrent de ses virulentes attaques contre le système en place et exigèrent qu'on le fasse taire d'une manière ou d'une autre. Il fut traité de fou, de dégénéré, de menace pour la sécurité de l'Empire, mais en fait, ce fut surtout sa propre sécurité qui fut menacée, car quelques-uns de ses adversaires tentèrent de s'en prendre physiquement à lui.

Il fallut l'intervention de l'Empereur Keynn Lucans en personne pour apaiser les esprits échauffés. Cependant, contrairement à ce que réclamaient certains hauts dignitaires, il refusa de bannir le professeur Akson ou, plus radicalement encore, de le faire « exécuter pour l'exemple ». Sans doute ne souhaitait-il pas se priver de cette intelligence supérieure dont les recherches avaient déjà fait progresser à pas de géant plusieurs domaines scientifiques. Il décida donc de l'envoyer dans l'une des bases les plus secrètes et isolées de l'Empire afin qu'il puisse y exercer sereinement ses talents ; c'est-à-dire sans pouvoir faire de vagues. Officiellement, cela ressemblait assez à une mise au placard pour satisfaire les mécontents, mais officieusement, le professeur eut accès à tout ce qu'il estimait nécessaire à ses travaux, notamment des cobayes humains dotés de magie, ce qui aurait été inimaginable dans son laboratoire de Centralis.

Durant presque six ans, Aniel Akson vit échouer toutes ses expériences visant à lier technologie et magie, mais jamais il ne se découragea. On lui permit de poursuivre sur cette voie, pourtant apparemment sans issue, parce que dans le même temps, avec son habituelle facilité déconcertante, il mit au point des améliorations majeures dans l'exploitation de l'énergie de la rosaphir. Grâce à ses inventions, la quantité de pierre nécessaire pour faire fonctionner toutes sortes d'objets issus de la technologie fut pratiquement diminuée de moitié, ce qui était suffisamment révolutionnaire pour lui passer ses fantaisies, d'autant qu'elles ne dérangeaient désormais plus personne.

Et puis un jour, il y eut l'accident qui fit tout basculer.

Le professeur Akson expérimentait ce qu'il appelait « le portail de résonnance entre le flux magique primordial et la rosaphir ». C'était, selon lui, la voie la plus prometteuse pour prouver ses théories sur la compatibilité entre la magie et la technologie, mais comme il disait cela à chaque nouvelle piste qu'il explorait, les autres chercheurs du laboratoire – dont le docteur Karter, fraîchement nommée à la fois pour ses compétences scientifiques et son goût pour le secret – n'avaient pas prêté particulièrement attention à ce qu'ils jugeaient comme une élucubration de plus. Toutefois, les expériences du professeur étant généralement aussi spectaculaires qu'inefficaces, la plupart du personnel avait saisi cette occasion d'échapper à la routine parfois ennuyeuse de la base. Il y avait donc pas mal de spectateurs, qui seraient évidemment trop bien élevés pour se moquer ouvertement de l'échec prévisible de leur collègue, mais qui n'hésitaient pas à parier en douce sur les causes et les conséquences dudit échec.

Flatté d'avoir un public si nombreux, Aniel Akson l'avait gratifié d'un discours grandiloquent qui, au fond, ne faisait que reprendre sa rengaine habituelle sur l'impasse technologique dans laquelle l'Empire s'était engagé et sur l'importance cruciale d'allier les pouvoirs de la rosaphir à ceux de la magie. Quand il s'était enfin tu, au soulagement général, il avait entrepris de mettre en route toute une série de machines à l'usage totalement inconnu de l'auditoire, lequel s'était prudemment tassé à l'autre bout de la salle. Au milieu de la machinerie, l'un des cobayes humains et magiciens régulièrement fournis au professeur était solidement sanglé à une table métallique et relié à plusieurs appareils tout aussi mystérieux, en particulier un grand anneau de métal suspendu juste au-dessus de lui.

Divers bruits cliquetants, chuintants et grinçants se firent entendre. Un petit nuage de vapeur s'échappa, faisant espérer ceux qui avaient parié sur une explosion ou un incendie. Un vague halo brumeux et lumineux apparut dans le cercle de métal, qui tournait à présent sur lui-même à une vitesse assez modérée. Apparemment, cela ne convenait pas aux projets du professeur, qui actionna un levier en marmonnant qu'il fallait plus de puissance.

Pendant une minute environ, il ne se passa rien de plus, puis soudainement, les choses s'emballèrent. Tous les mécanismes accélérèrent rapidement, y compris l'anneau métallique qui se mit à tourner à très vive allure. Un violent flash lumineux éblouit les spectateurs, tandis que le professeur s'exclamait d'une voix un peu paniquée que la rosaphir échappait à son contrôle et risquait de faire griller toute l'installation. L'homme attaché poussa un bref mais puissant cri de douleur.

Quand leurs yeux se remirent de leur éblouissement, les chercheurs restèrent bouche bée devant ce qu'ils découvrirent. Dans l'anneau de métal tournoyant, était apparu un paysage. On y voyait une ville étrange, telle qu'il n'en existait aucune en Olydri, pas plus dans l'Empire que dans la Coalition ou l'Ordre.

Stupéfaite, je ne pus m'empêcher d'interrompre le récit de Samtha Karter.

– Mais si ce n'était pas une ville d'Olydri, où était-elle ?

L'équipe du laboratoire s'était évidemment posé la même question, mais avant qu'elle n'ait le temps d'étudier davantage cet étrange paysage, l'expérience avait soudainement pris fin. Le fragment de rosaphir alimentant le système s'arrêta d'un seul coup, entièrement déchargé après s'être autant emballé. Quant à l'homme lié à la table, il avait perdu conscience mais paraissait encore vivant, ce qui était un point positif puisqu'il pourrait sans doute être réutilisé.

Frustré par l'interruption brutale de cette expérience au résultat aussi inattendu qu'extraordinaire, le professeur sortit la pierre inerte de son logement. Il allait falloir beaucoup de temps pour que son niveau d'énergie remonte, et c'était un matériau tellement précieux et rationné ! Rageusement, il la jeta sur le corps tout aussi inerte du cobaye humain.

Ce qui se produisit alors resta gravé à jamais dans la mémoire des chercheurs présents. L'émotion de Samtha Karter quand elle me le raconta était encore palpable après toutes ces années. Une sorte d'aura lumineuse s'éleva de l'homme et sembla être aspirée par la rosaphir. Le phénomène dura environ trois ou quatre minutes avant que la lueur ne s'éteigne. Empli d'un fol espoir, Aniel Akson se saisit précautionneusement du fragment et le déposa dans un testeur d'énergie. Tous furent sidérés quand le nombre de 100 % s'afficha sur l'écran, et plus encore quand le professeur se lança dans une sorte de danse de la victoire en poussant de petits cris de joie, répétant sans cesse qu'il avait enfin réussi. Son enthousiasme finit par devenir contagieux et chacun se mit à le féliciter en riant et en tenant des propos plus ou moins compréhensibles, avec l'impression de participer à une fantastique aventure, même si personne n'avait la moindre idée de ce qui venait de se produire exactement.

 

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Incursion dans un autre monde

17 août 2015

PNJ IRL #11

Une nouvelle inspirée de l'univers de Fabien Fournier, plus particulièrement de Néogicia et de Noob, mais qui peut aussi se lire sans connaître ces deux oeuvres.

Le destin étrange d'un... personnage de jeu vidéo ?

Pour les néophytes : PNJ = "personnage non joueur" d'un jeu vidéo, qui donne généralement une quête au héros incarné par le joueur et répète toujours les mêmes phrases.
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DEBUT

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Je ne revis pas le docteur Karter avant le surlendemain. Je n'avais pas à me plaindre de mes geôliers : s'ils n'étaient pas bavards, ils m'apportaient des repas largement meilleurs que ceux du réfectoire sous le joug de madame Hétaira.

Quand elle revint enfin me voir, elle prit une chaise et s'assit en face de moi sans rien dire pendant un moment. Elle semblait perturbée et elle ne savait sans doute pas par où commencer. Alors, puisqu’elle s'était montrée correcte avec moi, je décidai de l'aider un peu.

– Je pense qu'il est temps que vous m'expliquiez en quoi consiste le Plan Horizon, dis-je d'une voix douce.

Elle parut soulagée de parler d'abord d'un domaine qu'elle maîtrisait.

– Il est temps, en effet.

Elle prit une grande inspiration comme quelqu'un qui va se jeter à l'eau.

– Que sais-tu au sujet de la rosaphir ?

Je fus un peu désarçonnée par sa question, mais contente qu'elle me tutoie. J'y vis un signe de la confiance qu'elle m'accordait désormais.

– Eh bien... On en a un peu parlé en cours, à l'orphelinat... C'est une sorte de pierre qui possède une énergie incroyable... On s'en sert pour alimenter les objets issus de la technologie de l'Empire, par exemple le bouclier de défense super puissant qui protège Centralis, ou encore les glisseurs...

– Et même tous les appareils électriques de cette base. Bien, je vois que tu sais à peu près de quoi il s'agit. Ce n'est pas le cas de tous les jeunes élevés en dehors de la capitale.

– Madame Mispony, l'ancienne directrice de l'institution, accordait beaucoup d'importance à notre éducation et admirait infiniment les réalisations impériales, expliquai-je. Mais quel est le rapport entre la rosaphir et le Plan Horizon ? demandai-je, perplexe.

– A toi d'essayer de trouver, répliqua-t-elle en souriant.

Puisqu'elle semblait s'amuser de me mettre ainsi au défi, j'allais m'efforcer de ne pas la décevoir. Je réfléchis quelques minutes avant de lui exposer une théorie qui pouvait se tenir, même si elle ne me satisfaisait pas totalement.

– Cette base est ultrasecrète, y compris pour la quasi-totalité des Impériaux. Elle est aussi très bien défendue, puisque vous avez plaint un éventuel espion qui s'y infiltrerait. J'ai pu constater, d'ailleurs, que les grands costauds de la sécurité verrouillaient chaque porte dès qu'ils en passaient une, et j'en ai compté pas moins de cinq entre la salle d'analyses et ma cellule, alors qu'elles ne sont éloignées que de quelques mètres. D'autre part, d'après les propos du dénommé Loch à mon réveil, vous ne récupérez que des personnes qui ont été condamnées à mort et qui sont censées avoir été exécutées. Ce sont de parfaits esclaves, puisqu'ils n'ont plus aucune existence légale et qu'ils peuvent facilement être supprimés s'ils ne font pas ce qu'on attend d'eux.

– Tu es vraiment observatrice, s'enthousiasma le docteur Karter. Et quelles conclusions tires-tu de tous ces faits ?

– A première vue, cela me ferait penser que nous sommes sur un gisement de rosaphir et que les prisonniers sont utilisés comme mineurs. Le luxe de précautions dont vous faites preuve pourrait s'expliquer, puisqu'il s'agit de la source même du pouvoir impérial et de sa technologie. Toutefois, il y a un élément qui ne colle pas.

– Ah oui, et lequel ?

– Vous.

– Moi ? s'étonna-t-elle. Comment cela ?

– Je veux dire, l'équipe médicale dont vous faites partie, et toute la batterie de tests à laquelle j'ai eu droit. Ces machines étaient bien trop compliquées et nombreuses pour simplement vérifier si mon réveil se passait bien. Or, à quoi servirait-il de faire autant d'analyses pour de simples esclaves mineurs ? Il doit donc y avoir une autre raison, mais je n'ai pas assez d'éléments en ma possession pour comprendre laquelle.

– C'est vrai, mais tes premières déductions m'impressionnent ! Je vais donc te donner un indice supplémentaire et voir ce que tu pourras en tirer.

– Vous aimez jouer, Docteur Karter !

– Mes amis m'appellent Samtha, et je crois que dans le contexte actuel, tu es ce que j'ai de plus proche d'une amie.

Je ne savais pas encore quel sort elle me réservait, mais je fus touchée par ses paroles, que je sentais sincères. Et puis, créer un lien entre nous pourrait s'avérer utile.

– Merci, Samtha. Voyons donc si ton indice pourra m'éclairer.

– La rosaphir a un défaut majeur, et les analyses que nous faisons servent à établir la compatibilité de nos… invités avec le procédé que nous avons mis au point pour pallier ce défaut.

Cette fois, il me fallut un peu plus de temps de réflexion, et je crois que je pâlis en démêlant toutes les implications de ce que Samtha venait de me révéler. Elle-même avait l'air grave, et je crus voir passer du regret dans ses étranges yeux de Néogicienne.

– Si je ne me trompe pas, je ne vois qu'un défaut majeur dans la rosaphir : son extrême rareté. A cause de cela, je dirais que l'Empire est limité dans son extension, ainsi que dans le développement de sa technologie.

Elle acquiesça d'un signe de tête, l'air admiratif.

– Quand je pense au nombre de gens qui ne se rendent jamais compte de ce problème, alors que toi, il ne t'a fallu que quelques instants pour le percer à jour !

Je haussai les épaules, ce qui fut beaucoup plus facile que la dernière fois.

– Je n'ai pas grand mérite : j'ai entendu souvent mes anciens condisciples se plaindre du fait que l'orphelinat ne leur permettait pratiquement pas d'accéder à la technologie et qu'ils auraient l'air de péquenauds en allant vivre à Centralis, une fois majeurs. Si c'était le cas, c'est parce que l'établissement n'avait pas assez de moyens. Or, ce qui est si cher est forcément très rare, ce n'est pas difficile à deviner. C'est aussi pour cela, je suppose, que la capitale a une taille qu'on dit démesurée, alors que les villes de province sont plutôt petites.

– Puisque tu en as seulement entendu parler, j'en conclus que tu n'as jamais eu l'occasion de voir Centralis de tes propres yeux. C'est une ville titanesque au-delà de l'imagination, qui regroupe l'essentiel des forces et de la population de l'Empire parce qu'effectivement, la quantité de rosaphir actuellement disponible ne permet pas d'alimenter des boucliers de protection semblables pour toutes les villes impériales.

Cette déclaration ne fit que confirmer mes craintes.

– La quantité de rosaphir actuellement disponible... murmurai-je, effarée.

– Que dis-tu ? Parle plus fort, au lieu de marmonner comme ça !

Ce fut à mon tour de prendre une grande inspiration avant de me jeter à l'eau.

– Ce que je vais dire me semble à moi-même complètement fou et inimaginable, mais c'est la seule conclusion logique à laquelle j'arrive avec l'indice que tu m'as donné... Les condamnés que vous récupérez ici, est-ce que vous essayez de... les transformer en rosaphir ?

– Ce n'est pas exactement le procédé que nous employons, mais dans le principe, ta déduction est juste. Fini de jouer, à présent : je vais tout t'expliquer en détail.

 

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Incursion dans un autre monde

10 août 2015

PNJ IRL #10

Une nouvelle inspirée de l'univers de Fabien Fournier, plus particulièrement de Néogicia et de Noob, mais qui peut aussi se lire sans connaître ces deux oeuvres.

Le destin étrange d'un... personnage de jeu vidéo ?

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IRL = "in real life" ("dans la vie réelle")

DEBUT

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En attendant la suite des événements et curieuse des explications qu'on était censé me fournir sur mon rôle à jouer dans ce mystérieux « Plan Horizon », je m'efforçai de rester calme et de retrouver au plus vite le contrôle de mon corps. Cela fonctionna plutôt bien, parce qu'à la deuxième visite de contrôle à laquelle j'eus droit, je distinguai presque nettement le visage de la femme venue s'occuper de moi, le docteur Karter. Entre deux âges, taille moyenne, cheveux châtain mi-longs attachés en simple queue de cheval, vêtements de coupe classique sous sa blouse : elle aurait pu facilement passer inaperçue, sans l'intelligence passionnée qui animait son regard d'une extraordinaire vivacité. Bien sûr, comme tous les membres importants de l'Empire, c'était une Néogicienne, aux iris d'un indéfinissable brun métallique, mais ses yeux n'étaient en rien ternes, tant sa flamme intérieure les rendait éclatants.

Elle déclara qu'étant donnée la rapidité avec laquelle je semblais récupérer, elle souhaitait procéder tout de suite à l'examen de routine auquel étaient soumis tous les... participants au Plan Horizon. Je notai sa légère hésitation, comme si elle avait voulu employer un autre mot et qu'elle s'était ravisée in extremis. J'aurais pu feindre de n'avoir rien remarqué, par prudence, mais j'avais l'impression que la prudence n'était pas de mise ici. Après tout, j'avais déjà affronté la mort une fois ; ce n'était plus le moment de laisser la peur me dominer.

– Quand vous dites « participants », je suppose que vous voulez parler de cobayes dans mon genre, des gens censés avoir été exécutés dont personne ne se soucie plus, quel que soit le sort qui leur est réservé dans votre fameux Plan Horizon ?

La mine stupéfaite et vaguement gênée, elle parut sur le point de nier, puis elle me regarda bien en face et soupira.

– A quoi bon vous raconter le baratin habituel ? On dirait que vous êtes trop futée pour ça...

A la réflexion, je me demande si je n'aurais pas préféré le baratin...

– Mais avant que je ne vous explique les raisons de votre présence ici, la procédure veut que je vérifie qui vous êtes, par rapport au dossier qu'on nous a transmis. Notre base est si secrète que je ne pense pas que nous pourrions recevoir la visite d'un quelconque espion – d'ailleurs, si c'était le cas, tant pis pour lui – mais bon, la procédure, c'est la procédure, alors même si je trouve que c'est une perte de temps, je n'ai pas trop le choix. Donnez-moi donc vos nom, prénom, date de naissance, puis faites-moi un petit résumé de ce qui vous a conduite à écoper de la peine de mort à votre âge. Et merci de m'épargner les détails, je n'aime pas la viande saignante.

Je ne fus pas surprise par sa froide ironie à mon égard. Mon dossier judiciaire ne dressait pas vraiment de moi un portrait très flatteur. J'aurais pu ne rien dire, ou seulement ce qu'elle voulait entendre, parce que c'était le seul moyen pour qu'elle me fiche la paix sur un passé que je n'avais aucune envie de revivre. Et puis, j'étais peut-être un peu le monstre décrit dans ces pages, car je ne ressentais aucun remords d'avoir tué madame Hétaira.

Mais alors que j'ouvrais la bouche pour confirmer la version officielle le plus succinctement possible, le souvenir de ma chère Bilana en larmes, murée dans son indicible désespoir, me revint si intensément en mémoire que je crus un instant la voir réellement devant moi. Tant pis pour ma tranquillité. Elle méritait mieux que mon silence complice.

Et là, attachée sur une sorte de lit d'hôpital, entourée de tas d'appareils bizarres qui analysaient je ne sais quoi en moi, sans que je sache pourquoi ni ce qui m'attendait ensuite, je racontai enfin toute la vérité. Je parlai vite pour ne pas être interrompue, en fermant les yeux pour ne pas me laisser distraire. Je ne cachai pas ma part de responsabilité dans le suicide de ma meilleure amie, ma stupide erreur d'interprétation qui m'avait empêchée de la soutenir, moi qui étais si fière de mes grands talents de détective ! Je ne dissimulai pas davantage les noms inscrits dans le carnet secret de la directrice de l'orphelinat, ni la folie meurtrière qui m'avait poussée à la frapper encore et encore. Je révélai aussi le piège tendu par le juge, sans doute en accord avec d'autres clients riches et haut placés. Pour conclure, j'avouai que j'avais accepté mon châtiment car je ne désirais plus vivre dans un tel monde, et que je regrettais profondément qu'on m'ait ainsi ressuscitée.

Quand j'eus fini, il y eu un long blanc avant que le docteur Karter ne reprenne la parole.

– J'ai quelques contacts qui pourront me renseigner sur l'histoire incroyable que vous venez de me sortir. S'il s'avère que vous êtes l'affabulatrice la plus convaincante qu'il m'ait été donné de rencontrer, je vous préviens que je vous le ferai payer cher, parce que j'ai horreur qu'on me fasse perdre mon temps.

Je ne me laissai pas impressionner. Au final, elle me ferait ce qu'elle voudrait, mais cela ne changerait rien à la vérité.

– Et si vous découvrez que je n'ai pas menti ?

– Alors, ce sera le premier cas de conscience auquel je devrai faire face depuis bien des années, et j'ai aussi horreur de ça !

Je haussai les épaules, ce qui n'était pas très facile dans ma position entravée.

– C'est votre problème, pas le mien. Bon, maintenant, vous m'expliquez ce que c'est, votre fameux Plan Horizon ?

– Pas encore. Je vais d'abord déterminer si vous me menez en bateau ou pas, et en fonction de la réponse, je vous récompenserai ou je vous punirai.

– Je risque d'attendre longtemps... Remarquez, moi, je n'ai aucun problème avec le fait de perdre mon temps. Enfin, avec un peu plus de liberté de mouvement et quelques bouquins. Je suppose que vous avez ça, dans votre base ultrasecrète qui est sûrement située dans un trou perdu à l'écart des regards indiscrets, non ? La lecture permet de s'évader de toutes les formes de prisons.

Le docteur Karter éclata d'un rire bref puis me fixa d'un air songeur, qui éveilla en moi une inexplicable tristesse que je refoulai aussitôt de toutes mes forces.

– Pour une fille aussi jeune, vous ne manquez vraiment pas d'intelligence ni d'audace ! Quel dommage que vous vous retrouviez ici... Dans d'autres circonstances, je suis sûre que vous auriez eu un brillant avenir.

– C'est gentil de votre part, mais dans ma situation, je crois que je vais me contenter d'affronter le présent.

Elle eut un demi-sourire navré puis se leva et se dirigea vers la porte. Avant de sortir, elle se retourna vers moi.

– Je vais mener ma petite enquête. Ça ne devrait pas être trop long, mais en attendant, vous serez installée un peu plus confortablement, dès que vos analyses seront terminées, ce qui ne devrait pas prendre plus de deux heures.

Effectivement, environ deux heures plus tard, trois personnes que je n'avais pas encore vues entrèrent dans la pièce, où les machines mystérieuses venaient de s'éteindre. L’une d'entre elles débrancha les capteurs collés sur ma peau puis retira les cathéters qu'on m'avait piqués dans chaque bras. Elle repartit dès qu'elle eut fini, sans prononcer le moindre mot. Les deux autres, plutôt du genre armoires à glace et dont il n'était pas difficile de déduire qu'ils devaient faire partie de la sécurité des lieux, me détachèrent du lit. Je voulus m'asseoir, mais ce simple effort me fit grimacer. J'avais des courbatures douloureuses dans chaque muscle et pour couronner le tout, des vertiges me faisaient tourner la tête. L'un des gros bras me souleva avec facilité et me porta jusqu'à une pièce voisine, tandis que l'autre verrouillait et déverrouillait les portes au fur et à mesure. Apparemment, je n'étais pas leur première cliente.

Ma cellule était équipée du confort sommaire habituel, mais je souris en voyant une pile de livres posée sur la tablette à côté du lit.

 

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Incursion dans un autre monde

3 août 2015

PNJ IRL #9

Une nouvelle inspirée de l'univers de Fabien Fournier, plus particulièrement de Néogicia et de Noob, mais qui peut aussi se lire sans connaître ces deux oeuvres.

Le destin étrange d'un... personnage de jeu vidéo ?

Pour les néophytes : PNJ = "personnage non joueur" d'un jeu vidéo, qui donne généralement une quête au héros incarné par le joueur et répète toujours les mêmes phrases.
IRL = "in real life" ("dans la vie réelle")

DEBUT

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Suite à mon refus de faire appel, la date de mon exécution fut fixée pour le mois suivant. C'était le délai légal, au cas où je changerais d'avis. Je m'efforçai de garder la tête froide et, conformément à la ligne de conduite que je m'étais choisie, de profiter au mieux de chaque instant, mais bien souvent, je me surprenais à penser à Bilana. Existait-il un au-delà où je pourrais la retrouver ? Me pardonnerait-elle ma sottise et ma déduction hâtive, qui avaient mis l'enquêteur sur une fausse piste alors qu'il aurait pu tout découvrir ?

Vint, bien trop vite, le jour où j'allais avoir la réponse à mes questions existentielles. Je me concentrai sur mon amie pour ne pas m'effondrer ni me débattre quand on me fixa à la table où on devait me faire l'injection létale.

Quand on me demanda si j'avais une dernière déclaration à faire, je me sentis fière de parvenir à parler d'une voix claire et audible.

– Aujourd'hui, je vais reposer en paix, tandis que d'autres vivront chaque jour à venir rongés par l'angoisse qu'un de leurs complices craque et révèle toute la noirceur de leurs crimes. En attendant l'heure de votre jugement, soyez tous maudits par celle qui a dû sacrifier sa vie et qui meurt dans l'innocence !

Je savais que ces propos grandiloquents à l'allure prophétique seraient retranscrits et diffusés par les quelques journalistes présents à mon exécution. Ils n'étaient là que parce que c'était une obligation légale, et je venais de leur fournir de la matière pour rédiger un article plein de passion et de mystère. Avec un peu de chance, je venais de semer les graines de ma vengeance.

Puis on m'injecta le produit fatal et je mourus.

Je me souviens avoir eu l'impression que mon esprit flottait au milieu du vide... mais ce n'était pas comme après que
l'homme étrange m'a embrassée sur le front, ou plutôt qu'il a embrassé celle qui n'était pas moi
au lieu d'aller sauver celui qui n'était pas mon petit frère chéri...

Pour que tout s'éclaire complètement dans mon esprit encore confus, il faut que je continue à dérouler le fil de mes souvenirs,
de plus en plus précis dans ma mémoire...

Jusqu'au Plan Horizon...

J'étais bien. Je ne ressentais plus mon corps, seulement mon esprit enveloppé de bien-être et d'insouciance. Je n'avais plus besoin de réfléchir, plus besoin d'avoir peur, plus besoin d'être triste. Tout simplement, j'étais bien, et cet instant de parfait détachement me parut durer éternellement.

Et puis, je vis de la lumière. Tout d'abord, ce ne fut qu'une zone un peu moins obscure que le reste, qui s'éclaircit progressivement, au fur et à mesure que je concentrais mon attention sur elle, jusqu'au moment où elle devint vraiment de la lumière, une merveilleuse lumière blanche et pure. Je commençai alors à distinguer, dans la clarté environnante, quelques silhouettes indistinctes qui se dessinaient autour de moi. Un sentiment de bonheur infini se répandit dans toute mon âme. Il existait bien un au-delà après le grand passage !

– Maman, Papa, Bilana, je suis si heureuse que vous soyez là !

Mais la réponse ne fut pas tout à fait celle que j'attendais. La voix narquoise d'un homme jeune.

– Elle est en plein délire, celle-là ! Eh, y faut se réveiller ! On n'est pas des anges, et toi non plus, d'ailleurs, si tu te retrouves ici !

– Loch, ne soyez pas aussi désobligeant. C'est normal qu'elle ait du mal à émerger, avec le cocktail de drogues qu'elle a dans les veines, fit remarquer une voix féminine d'un ton neutre où perçait un soupçon de désapprobation.

– C'est bien possible, Docteur Karter, mais n'empêche que si on les lui a injectées, c'est pas pour rien ! Vous laissez pas attendrir par son air de petite fille innocente, y'a que des criminels qui atterrissent dans ce labo !

Cette fois, la voix de femme répliqua d'un ton plus sec.

– Je suis parfaitement au courant de ce que nous faisons ici et avec qui, et personne dans cette pièce ne m'attendrit.

J'étais vivante ! Loin de me réjouir, cette constatation me fit complètement paniquer.

– Non, je vous en prie, ne me faites pas de mal ! J'ai respecté toutes les conditions du juge, je n'ai rien dit sur ce que madame Hétaira faisait avec les orphelins qu'elle avait sélectionnés pour son programme ! Pourquoi est-ce que le juge veut se venger ? Je jure que je n'ai rien dit à personne ! J'étais d'accord pour qu'il me condamne à mort, parce que mon amie s'est suicidée en partie par ma faute ! Tuez-moi sans me faire de mal, s'il vous plaît !

Je ne sais pas si mes interlocuteurs comprirent grand-chose à mes propos à moitié incohérents et entrecoupés de sanglots... Quoi qu'il en soit, la voix de femme tenta de m'apaiser.

– J'ignore tout de ce juge et de ce dont vous parlez, jeune fille.

– Alya. Je m'appelle Alya.

– Eh bien, Alya, soyez rassurée : il n'y a absolument aucun juge qui ait un quelconque pouvoir ici.

– Mais... on est où, ici, exactement ?

– Nous vous expliquerons tout cela en détail quand vous aurez récupéré vos forces...

– Et votre lucidité ! l'interrompit le dénommé Loch. Parce que pour le moment, je n'ai pas pigé un mot de votre histoire sans queue ni tête !

– Bref, reprit la femme d'un ton de reproche. Vous êtes ici dans l'un des lieux les plus secrets de l'Empire, et personne de votre ancienne vie ne viendra se venger ou je ne sais quoi. Vous faites désormais partie du Plan Horizon. Comme je viens de vous le dire, nous vous expliquerons tout cela... un peu plus tard. Pour le moment, essayez de vous détendre, cela vous aidera à récupérer vos facultés. Oh, et ne vous inquiétez pas non plus si vous avez l'impression de ne plus ressentir votre corps et que votre vue est très floue. C'est un effet secondaire tout à fait normal des produits qui vous ont été injectés, qui va totalement se dissiper dans les prochaines heures.

– Eh oui, rappelez-vous, l'exécution, tout ça : il fallait bien qu'on vous croie morte ! ajouta Loch avec une méchanceté satisfaite qui me fit frissonner.

On aurait pu croire qu'il avait un compte personnel à régler avec moi.

– Maintenant, ça suffit ! s'énerva la femme. Si vous n'êtes pas capable de vous contrôler, vous n'avez rien à faire dans mon équipe !

Loch s'excusa et lui assura qu'il ne recommencerait pas, mais je doutais que son inexplicable animosité envers moi disparaisse aussi facilement. Si nous étions amenés à nous revoir, il allait sans doute falloir que je me méfie de lui.

 

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Incursion dans un autre monde

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