PNJ IRL #21
Une nouvelle inspirée de l'univers de Fabien Fournier, plus particulièrement de Néogicia et de Noob, mais qui peut aussi se lire sans connaître ces deux oeuvres.
Le destin étrange d'un... personnage de jeu vidéo ?
Pour les néophytes : PNJ = "personnage non joueur" d'un jeu vidéo, qui donne généralement une quête au héros incarné par le joueur et répète toujours les mêmes phrases.
IRL = "in real life" ("dans la vie réelle")
Qui dit nouvelle vie dit nouvelle identité.
Pour ce qui est de mon prénom, rien de plus facile : je souhaite simplement garder celui que mes parents m'ont donné. C'est le seul souvenir que j'ai d'eux, et je refuse de le perdre. En revanche, je ne veux pas du nom qui m'a été attribué à mon arrivée à l'orphelinat. Je n'ai jamais vraiment eu l'impression que c'était le mien, et il y a beaucoup de choses de cet endroit dont je n'ai pas envie de me souvenir trop souvent... Il faut donc que je m'en choisisse un autre, qui me parle suffisamment pour que je n'aie aucune hésitation si quelqu'un l'emploie pour m'appeler... Mais bien sûr, c'est évident ! Il y a un nom qui m'évoque la notion de famille ! Très bien : je serai donc Alya Cadwell.
La date de naissance, à présent. Je crois que je serai davantage prise au sérieux si j'ai la trentaine plutôt que mon âge réel, puisque je ne suis même pas majeure. L'année, c'est réglé ; restent le jour et le mois. N'étant pas familière des noms des mois terriens, bien que je les ai évidemment appris, j'opte pour une solution de facilité : le 1er janvier. Au moins, comme ça, pas de risque de me tromper ni d'oublier !
Dans le même ordre d'idée, je décide que mon lieu de naissance sera la capitale du pays où s'est ouvert le portail et où Horizon a été créé. Cette ville s'appelle Paris, un nom court que je n'aurai pas de mal à retenir.
Pour ce qui est de mon apparence physique, pas de folie non plus. Mon but n'est pas de gagner un concours de beauté mais de me fondre dans la foule. Pour m'inspirer, je regarde une série de brefs films diffusés extrêmement souvent sur les écrans que les Terriens regardent chaque jour. Ils appellent cela de la publicité. Je me demande s'ils ont des problèmes de mémoire, pour avoir besoin de revoir sans cesse les mêmes images leur présentant les mêmes produits, jusqu'à de la simple lessive... Quoi qu'il en soit, cela me permet de me décider pour un visage agréable mais passe-partout, comme celui de la majorité des femmes de ces publicités.
Bon... Maintenant que je dispose de tous ces éléments théoriques, il va falloir passer à la pratique... Je commence par l'étape la plus simple : l'enregistrement de mon identité dans diverses institutions, allant de l'état-civil jusqu'au compte bancaire que, tant qu'à faire, je dote généreusement. J'ai l'intention de voyager autant que je le pourrai sans me soucier des questions matérielles, et ce ne serait pas très compatible avec le fait de devoir me trouver un gagne-pain qui me prendrait un temps fou !
L'étape suivante est un peu plus complexe : déterminer le lieu dans lequel je vais « apparaître ». J'ai plusieurs critères à prendre en compte. Premièrement, il faut que ce soit à proximité de là où vit mon fameux pirate informatique. Il n'a pas été facile à dénicher, mais malgré les précautions dont il s'entoure, je suis parvenue à retrouver sa trace IRL, comme disent les joueurs d'Horizon, c'est-à-dire dans le monde réel. Deuxièmement, il faut que ce soit dans un logement vide mais pas abandonné. Par chance, de nombreux Terriens annoncent leur départ en vacances sur ce qu'ils appellent des réseaux sociaux ; je n'ai donc que l'embarras du choix. En étudiant ces différentes possibilités, je choisis un appartement qui n'est pas équipé d'un quelconque système d'alarme, dans un immeuble assez grand, où les voisins ne feront pas attention si je fais du bruit par inadvertance, et au rez-de-chaussée pour pouvoir sortir par une fenêtre, si je ne trouve pas de double de la clef de la porte d'entrée à l'intérieur.
Ceci fait, je n'ai plus d'autre choix que de me lancer dans la partie la plus incroyablement folle de mon projet : générer un nouveau corps dans lequel mon esprit pourra s'incarner. Si je ne veux pas me faire repérer par les Olydriens ni les Terriens, il va falloir que je sois capable de suivre scrupuleusement le plan que j'ai calculé dans les moindres détails.
Délicatement, j'entreprends de synchroniser le pouvoir des rosaphirs, d'abord celles du laboratoire, puis celles de la base entière et, progressivement, toutes celles d'Olydri, une par une, y compris celles qui n'ont pas encore été découvertes, et même la rosaphir géante qui alimente le bouclier protecteur de Centralis, la capitale démesurée de l'Empire. Cela prend un temps considérable, mais c'est le seul moyen pour que je puisse prélever l'énergie dont j'ai besoin sans attirer l'attention.
Le processus est à peu près identique sur Terre, sauf qu'ils ne produisent pas l'électricité qu'ils consomment en quantité phénoménale à partir de mystérieux fragments de météorites.
A présent que je suis connectée à ces deux sources de puissance à la fois si différentes et si semblables, je dois encore réussir la phase décisive, celle qui déterminera mon succès ou mon échec : harmoniser les flux magiques d'Olydri avec ces deux technologies, car seule la magie a le pouvoir de créer une vie à partir de rien.
En guise de dernier test, de dernière chance de changer d'avis, je n'utilise qu'une toute petite partie de ce formidable pouvoir pour faire surgir de menus objets inertes mais des plus utiles : divers papiers d'identité, une carte bancaire – encore une idée terrienne ingénieuse – et quelques vêtements. Je suis satisfaite de constater que tout se passe bien, mais je sais aussi que ce n'est pas grand-chose, comparé à ce qui m'attend si je persiste dans cette voie ô combien dangereuse.
Allons, du courage : je ne vais pas renoncer à ce stade !
Toutefois, je prends quelques secondes pour serrer mon bien-aimé presque frère dans mes bras virtuels, car le profond sentiment de réconfort que je ressens, lui, est tout ce qu'il y a de plus réel.
Il est temps.