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Feuilleplume

17 décembre 2015

PNJ IRL #1 - Début alternatif

Début alternatif dédicacé à mon ami Ja'rael, qui se reconnaîtra !  ^^
La première version est ici : CLIC !

 

Une nouvelle inspirée de l'univers de Fabien Fournier, plus particulièrement de Néogicia et de Noob, mais qui peut aussi se lire sans connaître ces deux oeuvres.

Le destin étrange d'un... personnage de jeu vidéo ?

Pour les néophytes : PNJ = "personnage non joueur" d'un jeu vidéo, qui donne généralement une quête au héros incarné par le joueur et répète toujours les mêmes phrases.
IRL = "in real life" ("dans la vie réelle")

 

La route serpentait parmi les arbres, montant et descendant au rythme des collines boisées de cette région peu habitée d'Olydri. Les mille petits bruits de la forêt formaient exactement l'ambiance sonore qu'on s'attendait à trouver dans un endroit de ce genre. Un autre son, plus régulier, s'adjoignit progressivement aux autres, d'abord à peine audible puis de plus en plus fort : les pas de quelqu'un marchant à vive allure malgré son lourd équipement.

– Je vous en prie, noble voyageur, venez à mon secours !

Le guerrier s'arrêta brusquement, dans un cliquetis d'armes et d'armure. Intrigué, il regarda autour de lui, à la recherche de l'origine de cette supplique. Surmontant ma peur, je sortis de derrière le gros rocher où j'avais trouvé refuge et je m'avançai vers lui.

– Que vous arrive-t-il ? me demanda-t-il lorsque je fus à sa hauteur. Vous avez l'air d’être bien effrayée !

– C'est une longue histoire… Voulez-vous que je vous la raconte ?

– Bien sûr, dites-moi tout, accepta-t-il.

– Tout a commencé il y a environ six semaines, lorsque mes parents sont morts. Je travaille depuis plusieurs années près de Fructalis, la capitale de la plus grande région agricole de l'Empire, comme gouvernante pour les enfants d'un riche propriétaire, mais dès que j'ai appris la triste nouvelle, je suis retournée dans mon village natal pour m'occuper de mon jeune frère Cadwell, qui est de presque douze ans mon cadet. Nous avons convenu qu'il valait mieux qu'il vienne vivre avec moi, au moins jusqu'à ce qu'il atteigne sa majorité, l'année prochaine. Nous avons donc décidé de vendre la petite maison et tous les biens de nos parents, afin de finir de payer ses études et de l'aider à démarrer sa vie d'adulte. L'affaire a été conclue hier, aussi avons-nous pris la route ce matin pour rallier Fructalis, à quelques jours de marche.

Je dus m'essuyer les yeux avant de continuer.

– Quand je prenais cette route pour rendre visite à ma famille, j'avais l'habitude de passer la nuit dans une petite grotte en contrebas d'ici, près des ruines d'un ancien temple au bord du lac. Mais cette fois… nous étions attendus par des bandits ! Je suis sûre que quelqu'un du village est de mèche avec eux et qu'il les a prévenus que nous transportions une importante somme d'argent. Quand nous sommes arrivés tout près de la grotte, ils en sont sortis tout à coup pour nous détrousser et sans doute nous assassiner ensuite ! J'ai réussi à leur échapper je ne sais trop comment, mais hélas, ils ont capturé Cadwell ! Je crois qu'il est encore en vie, parce que ces maudits bandits m'ont crié qu'ils me le rendraient si je leur donnais tout mon argent, mais je sais bien que si je leur obéis, ils nous tueront tous les deux…

Je saisis la main du guerrier d'un geste implorant.

– Je vous en supplie, noble voyageur, sauvez mon pauvre petit frère de ces ignobles bandits, car je n'ai plus que lui au monde ! Je vous promets que vous serez largement récompensé !

– J'accepte de vous aider. Ne vous inquiétez pas, je vais me charger de ces bandits et libérer votre frère, déclara le guerrier, à mon grand soulagement.

Sans attendre, il se dirigea vers le sentier qui descendait jusqu'au lac, non loin du rocher qui me servait de cachette. En arrivant à peu près à mi-hauteur de la colline, il s'accroupit et disparut aussitôt de ma vue. Ce devait être un grand expert en furtivité ! Je commençai à me sentir rassurée : sans nul doute, cet homme était de taille à venir à bout des bandits et à me ramener mon frère sain et sauf !

Effectivement, je n'eus pas très longtemps à patienter avant de voir leurs deux silhouettes remonter le sentier. Je sentis une joie immense envahir mon cœur, après la peur intense qui m'avait tant fait trembler. Lorsqu'ils furent près de moi, je serrai très fort mon cher Cadwell dans mes bras. Cette fois, c'étaient des larmes de joie qui coulaient sur mes joues.

Je me tournai ensuite avec reconnaissance vers notre sauveur.

– Je vous remercie infiniment pour votre aide, noble voyageur. Veuillez accepter cet argent, dis-je en lui donnant une partie de la somme que je transportais. Mais surtout, je voudrais vous offrir ce précieux anneau qui appartenait à notre père. Il l'utilisait quand il partait travailler aux champs, car ce bijou permet à son porteur de retrouver ses forces très rapidement.

Le guerrier examina la bague et sembla la trouver à son goût.

– Regardez-moi cette petite merveille ! Plus 500 en régénération de vigueur, voilà qui va m'être bien utile en combat ! s'exclama-t-il d'un ton joyeux. J'ai bien fait de chercher cette quête cachée dans ce coin perdu !

Il reprit sa route, s'éloignant de son pas rapide, son imposante hache à deux mains cliquetant dans son dos contre sa lourde armure de métal.

 

Peu de temps après son départ, l'angoisse me noua soudainement l'estomac. Cadwell n'était plus à mes côtés. Je ne précipitai derrière le rocher, haletante de terreur. Bientôt, j'entendis un bruit de pas s'amplifier au milieu des mille petits bruits de la forêt. Ils étaient plus légers que ceux du guerrier. Une femme, vêtue d'une souple armure de cuir, apparut dans mon champ de vision. Une branche d'arc et un carquois rempli de flèches dépassaient derrière son épaule.

– Je vous en prie, noble voyageuse, venez à mon secours !

La femme s'arrêta net. Méfiante, elle s'empara de son arc et y encocha une flèche avant d'examiner les alentours, à la recherche de l'origine de cet appel implorant. Surmontant ma peur, je sortis de derrière le gros rocher où j'avais trouvé refuge et je m'avançai vers elle.

– Que vous arrive-t-il ? me demanda-t-elle lorsque je fus à sa hauteur. Vous avez l'air d’être bien effrayée !

– C'est une longue histoire… Voulez-vous que je vous la raconte ?

– Bien sûr, dites-moi tout, accepta-t-elle.

– Tout a commencé il y a environ six semaines, lorsque mes parents sont morts. Je travaille depuis plusieurs années près de Fructalis, la capitale de la plus grande région agricole de l'Empire, comme gouvernante pour les enfants d'un riche propriétaire, mais dès que j'ai appris la triste nouvelle, je suis retournée dans mon village natal pour m'occuper de mon jeune frère Cadwell, qui est de presque douze ans mon cadet. Nous avons convenu qu'il valait mieux qu'il vienne vivre avec moi, au moins jusqu'à ce qu'il atteigne sa majorité, l'année prochaine. Nous avons donc décidé de vendre la petite maison et tous les biens de nos parents, afin de finir de payer ses études et de l'aider à démarrer sa vie d'adulte. L'affaire a été conclue hier, aussi avons-nous pris la route ce matin pour rallier Fructalis, à quelques jours de marche.

Je dus m'essuyer les yeux avant de continuer.

– Quand je prenais cette route pour rendre visite à ma famille, j'avais l'habitude de passer la nuit dans une petite grotte en contrebas d'ici, près des ruines d'un ancien temple au bord du lac. Mais cette fois… nous étions attendus par des bandits ! Je suis sûre que quelqu'un du village est de mèche avec eux et qu'il les a prévenus que nous transportions une importante somme d'argent. Quand nous sommes arrivés tout près de la grotte, ils en sont sortis tout à coup pour nous détrousser et sans doute nous assassiner ensuite ! J'ai réussi à leur échapper je ne sais trop comment, mais hélas, ils ont capturé Cadwell ! Je crois qu'il est encore en vie, parce que ces maudits bandits m'ont crié qu'ils me le rendraient si je leur donnais tout mon argent, mais je sais bien que si je leur obéis, ils nous tueront tous les deux…

Je saisis la main de l'archère d'un geste implorant.

– Je vous en supplie, noble voyageuse, sauvez mon pauvre petit frère de ces ignobles bandits, car je n'ai plus que lui au monde ! Je vous promets que vous serez largement récompensée !

– J'accepte de vous aider. Ne vous inquiétez pas, je vais me charger de ces bandits et libérer votre frère, déclara l'archère, à mon grand soulagement.

Elle se dirigea vers le sentier qui descendait jusqu'au lac, non loin du rocher qui me servait de cachette. Avant de l'emprunter, je la vis faire quelques pas dans le sous-bois et se pencher pour ramasser une plante rare, qu'elle rangea soigneusement dans son sac. Elle devait pratiquer l'alchimie, en déduisis-je. Elle entama ensuite la descente, son arc de nouveau à la main, prête à décocher une flèche au premier ennemi qui se présenterait. Elle comptait sûrement jouer sur l'effet de surprise, car je la vis quitter le sentier et s'enfoncer sous le couvert des arbres, où elle disparut presque aussitôt telle une ombre. Je commençai à me sentir rassurée : sans nul doute, cette femme était de taille à venir à bout des bandits et à me ramener mon frère sain et sauf !

 

Cependant, avant qu'elle ne revienne victorieuse de sa mission, la même angoisse familière me noua soudainement l'estomac. Un lointain bruit de pas venait en effet de se faire entendre. Ce qui se produisait aurait peut-être dû m'étonner, mais cela m'était déjà arrivé tant et tant de fois que cela me paraissait curieusement habituel ; une étrange routine, en quelque sorte. Je me disais parfois, le temps d'une brève et déplaisante pensée, que c'était le résumé de mon existence entière…

Tandis que le son des pas sur la route s'amplifiait parmi les mille petits bruits de la forêt, mon être se dédoubla. Une version de moi resta près du sentier qui menait à la grotte, emplie de l'espoir grandissant de revoir mon petit frère sain et sauf. L'autre version, haletante de terreur, se précipita derrière le gros rocher qui me servait de refuge.

Il m'était arrivé d'avoir jusqu'à plusieurs dizaines de versions différentes simultanément. Je m'étais alors sentie comme prisonnière d'un maelstrom d'émotions intenses allant de l'angoisse la plus absolue jusqu'au bonheur le plus complet, en passant en même temps par toutes les phases de l'espoir. Cette expérience n'avait pas été à proprement parler douloureuse, mais assez dérangeante pour que j'aie l'impression d'une libération quand elle avait pris fin, bien que dans les faits, je sois toujours condamnée à revivre indéfiniment mon étrange routine.

 

Ces nouveaux bruits de pas se rapprochaient vraiment rapidement. Une femme aux formes sculpturales à peine dissimulées par une armure très peu couvrante déboula du sentier en courant à toute vitesse. Les deux épées qu'elle portait à la taille indiquaient qu'il s'agissait d'une guerrière. Elle s'arrêta net près de ma cachette, avant même que j'aie le temps de l'appeler au secours.

Surmontant ma peur, je sortis de derrière le gros rocher où j'avais trouvé refuge et je m'avançai vers elle.

– Que vous arrive-t-il ? me demanda-t-elle lorsque je fus à sa hauteur. Vous avez l'air d’être bien effrayée !

Sa voix était celle d'un homme, mais je n'en fus pas surprise. J'avais remarqué que les femmes qui affichaient les courbes les plus avantageuses et qui craignaient le moins les courants d'air, avaient souvent cette particularité.

– C'est une longue histoire… Voulez-vous que…

– Non, m'interrompit-elle.

Je passai néanmoins à la suite de mon discours.

– Tout a commencé il y a environ six semaines…

– M'en fiche de ton baratin, file-moi juste la quête !

Je dus m'essuyer les yeux avant de continuer.

– Quand je prenais cette route pour…

– C'est bon, c'est mon quatrième reroll alors accélère !

Je saisis la main de la guerrière d'un geste implorant.

– Je vous en supplie, noble…

– Quête acceptée, me coupa-t-elle à nouveau.

Sans plus attendre, elle reprit sa course ballottante et s'élança vers le sentier menant au temple du lac.

Tandis que la familière sensation de soulagement à l'idée qu'on allait sauver mon cher petit frère Cadwell m'envahissait, je me fis la réflexion qu'au fil du temps, j'avais de plus en plus souvent affaire à des voyageurs extrêmement pressés de lui venir en aide, même sans que je leur raconte notre triste histoire.

Et puis une nouvelle fois, des bruits de pas s'amplifiant parmi les mille petits bruits de la forêt, un dédoublement de tout mon être, le gros rocher qui m'avait déjà servi de refuge à des centaines de milliers de reprises.

 

PAGE SUIVANTE (identique à celle de la première version)

 

Incursion dans un autre monde

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9 novembre 2015

PNJ IRL #23 (et fin...)

Une nouvelle inspirée de l'univers de Fabien Fournier, plus particulièrement de Néogicia et de Noob, mais qui peut aussi se lire sans connaître ces deux oeuvres.

Le destin étrange d'un... personnage de jeu vidéo ?

Pour les néophytes : PNJ = "personnage non joueur" d'un jeu vidéo, qui donne généralement une quête au héros incarné par le joueur et répète toujours les mêmes phrases.
IRL = "in real life" ("dans la vie réelle")

DEBUT

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Le lendemain matin, une tâche essentielle m'attend – j’ai presque envie de dire une quête : retrouver Tenshirock IRL et, enfin, régler mes comptes avec lui. Ce n'est pas très difficile, maintenant que je connais sa véritable identité, son adresse et son numéro de téléphone, lequel me permet de savoir exactement où il se situe. Cette dernière information m'est particulièrement utile, puisque je ne veux pas le surprendre à son domicile. Je préfère attendre qu'il se rende dans un endroit public, où il me sera plus facile de disparaître dans la foule.

La journée se passe sans qu'il sorte de chez lui. Toutefois, je prends mon mal en patience, car en interceptant ses SMS, j'ai appris que le lendemain, il devait aller déjeuner dans un restaurant du centre-ville avec quelques amis. Ce sera l'occasion idéale pour agir ! D'ailleurs, afin de bien maîtriser la situation, je me rends sans attendre à son point de rendez-vous. Je passe un moment à arpenter les rues alentour, jusqu'à en connaître par cœur chaque recoin. Je décide même de dîner dans ce fameux restaurant : autant joindre l'utile à l'agréable !

Cette phase de reconnaissance terminée, je rentre une dernière fois dans l'appartement où j'ai choisi de renaître. Ses occupants légitimes ne reviennent de leurs vacances que dans trois jours, mais quand j'en aurai fini avec mon pirate informatique, je quitterai cette ville de province pour commencer à visiter ma nouvelle planète.

Le temps s'écoule rapidement jusqu'à l'heure du rendez-vous décisif. J'ai réuni mes affaires dans un sac de voyage que je me suis acheté lors de ma petite sortie shopping de l'avant-veille. Je jette un dernier coup d'œil nostalgique sur cet appartement que je ne reverrai sans doute jamais. Je ferme soigneusement la porte derrière moi puis je glisse la clef dans la boîte aux lettres. Je ne peux m'empêcher de sourire en imaginant l'incompréhension de ceux qui vont la trouver là et découvrir ensuite l'argent que leur aura laissé leur étrange « squatteur » !

J'arrive un peu en avance devant le restaurant. Tenshirock ne devrait plus tarder, d'après le mouvement de son téléphone portable. Le voilà, ça ne peut être que lui ! Il a une indéniable ressemblance physique avec son avatar. Il rejoint un groupe de personnes installées en terrasse et s'assied en bout de table. Je n'aurais pu rêver meilleur emplacement.

Je le laisse se détendre un moment avant de m'élancer vers lui, la main crispée sur un paquet que je viens de sortir de mon sac.

Je me penche sur lui, le faisant sursauter, et je lui murmure à l'oreille :

– Tu n'as pas sauvé mon cher petit frère, mais je tenais à te remercier de m'avoir libérée, moi.

Avant même qu'il n'ait le temps d'ouvrir la bouche pour me répondre, je dépose le paquet devant lui et, surtout, le plus important : je l'embrasse sur le front.

Sitôt mon devoir accompli, je m'éloigne rapidement au milieu de la foule, hors de sa portée. Il ne peut déjà plus me rattraper.

Je pense que la petite fortune contenue dans le paquet que je lui ai laissé compensera largement la « bague de mon père » que mon PNJ offre à ceux qui acceptent de lui venir en aide.

Quant aux questions sans réponse qu'il se posera inévitablement, c'est ma petite vengeance pour tous les dangers que j'ai courus depuis qu'il s'est servi de moi pour son piratage d'Horizon !

A présent, je suis réellement libre. Je peux explorer à ma guise mon monde d'adoption, y compris sa face virtuelle d'une richesse infinie, Internet.

Je sais que je vais m'élancer dans l'inconnu, mais je n'ai pas peur. Au contraire, j'éprouve un sentiment de tendresse et reconnaissance pour les Terriens dont tant ont sauvé, sauvent et sauveront Cadwell.

Qui sait, je trouverai peut-être un moyen de les remercier... IRL ?

 

FIN ?

 

Incursion dans un autre monde

2 novembre 2015

PNJ IRL #22

Une nouvelle inspirée de l'univers de Fabien Fournier, plus particulièrement de Néogicia et de Noob, mais qui peut aussi se lire sans connaître ces deux oeuvres.

Le destin étrange d'un... personnage de jeu vidéo ?

Pour les néophytes : PNJ = "personnage non joueur" d'un jeu vidéo, qui donne généralement une quête au héros incarné par le joueur et répète toujours les mêmes phrases.
IRL = "in real life" ("dans la vie réelle")

DEBUT

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Le processus s'enclenche. Cette fois, il est trop tard pour reculer. Des flots de pouvoirs incompatibles par nature convergent dans mon esprit. La moindre erreur de calcul, la moindre dissonance dans cette alliance impossible, et ma conscience sera anéantie définitivement. Aucune de mes copies de sauvegarde n'y résistera.

Mes facultés mentales sont mobilisées jusqu'à leur extrême limite. J'ai l'impression que je vais exploser et me dissoudre sous la pression des forces impérieuses qui me traversent, et bien que je ne sois en cet instant qu'un ensemble de données numériques, J'AI SI MAL !

Quand tout s'arrête brusquement, je me sens tellement vide que je ne sais plus si j'existe encore ou non. Heureusement, cela ne dure pas. Des pensées hésitantes et informelles émergent de nulle part, se rassemblent, se renforcent, jusqu'à ce que je prenne conscience que j'existe bel et bien, à la fois dans une base secrète impériale, dans un personnage de jeu vidéo, dans l'immensité foisonnante d'Internet et dans...

J'ouvre les yeux. Ma vue un peu trouble se stabilise très vite et je découvre un tout nouveau décor, celui d'un appartement banal mais extraordinaire, car il est situé quelque part sur une autre planète. La Terre. Mon deuxième monde natal.

Un peu inquiète, je teste l'intégrité de mes facultés mentales. Rien à signaler dans Horizon, où un Pyromancien vient d'accepter d'aller sauver Cadwell. Je ressens l'habituelle bouffée de reconnaissance à son égard. C'est la routine aussi du côté des programmeurs du jeu, qui exercent leur surveillance coutumière des joueurs. J'éprouve un pincement au cœur en me reconnectant à ma copie dissimulée dans les installations de la base impériale. Et si les chercheurs qui scrutent le portail avaient repéré quelque chose d'anormal ? Heureusement pour moi, ce n'est pas le cas. Tout est calme dans le laboratoire. Mon corps olydrien poursuit sans encombre sa tâche de catalyseur de puissance.

Emportée par le bonheur d'avoir réussi, j'éclate de rire, et j'entends ainsi ma voix pour la première fois. L'étrangeté de cette expérience fait frissonner mon corps terrien tout neuf. Je résiste à grand peine à l'envie de me lever d'un bond et d'entamer une danse de triomphe : il faut d'abord que je vérifie que tout va bien, que je ne suis pas dotée d'un troisième bras fluorescent au milieu du dos ou de je ne sais quoi de tel. La magie est parfois capricieuse...

A priori, je ne détecte rien d'anormal, ni intérieurement ni extérieurement ; du moins, rien de flagrant. Tout paraît à la bonne place, sans ajout superflu. Je n'ai plus qu'à contrôler les détails dans un miroir. Il y en a sûrement un dans la salle de bain de ce logement.

J'entreprends donc, avec prudence, de m'asseoir puis de me lever. Je constate avec soulagement que cela ne déclenche pas de réactions déplaisantes telles que vertiges, nausées ou autres joyeusetés du même genre. Mon esprit semble s'être immédiatement adapté à ce corps. Ce n'est pas si étonnant, en fin de compte, puisqu'il y a seulement quelques jours, il était tout à fait classiquement situé dans mon corps d'origine. Ce n'est pas comme si je n'avais jamais été qu'une pure conscience virtuelle.

Je ne m'étais pas trompée : il y a bien un miroir dans la salle de bains, un grand miroir qui permet de se voir en pied. J'examine mon reflet avec la plus grande attention, non seulement pour m'assurer que mon apparence ne présente aucune bizarrerie mais aussi, et surtout, pour me familiariser un peu avec mon nouveau visage. Il y a fort à parier que j'aurai toujours une petite impression d'étrangeté en me voyant, même dans de nombreuses années !

Satisfaite par mon examen, j'enfile les vêtements que j'ai générés. Pour les concevoir, je me suis inspirée de ce que portent de très nombreuses Terriennes, d'après ce que j'ai pu en voir en consultant les meilleures ventes des magasins de vêtements sur Internet et en m'infiltrant dans les réseaux de vidéosurveillance de plusieurs grandes villes.

Pour finir, je récupère les divers documents qui me donnent une réalité administrative, aussi indispensable que ma réalité physique pour me fondre parfaitement dans ce monde. Et si j'allais tester ma carte bancaire ? Cela me permettra également de repérer les environs ! Par chance, les vacanciers dont j'occupe l'appartement ont laissé un double de leurs clefs accroché à un clou près de la porte. Je n'aurai pas à me soucier du risque qu'un voisin me surprenne en train de sortir ou de rentrer par une fenêtre, et au cas où l'un d'eux me poserait des questions sur ma présence, je pourrai prétendre que je viens m'occuper des plantes en l'absence de mes cousins, qui m'ont évidemment confié leur clef.

Pour savoir où aller, je connecte mon esprit à la carte des environs. Il ne me faut guère de temps pour localiser ce que les Terriens appellent un distributeur automatique de billets, ainsi qu'une boutique de vêtements pour agrandir un peu ma garde-robe plutôt sommaire, et une supérette où acheter de quoi manger.

Tout se passe pour le mieux ; j'arrive même à éviter de fixer tout ce que je découvre d'un air niais. J'ai bien fait de regarder des vidéos qui m'ont donné un aperçu du quotidien de mon nouveau lieu de vie, sinon je serais passée pour une ahurie qui ouvre de grands yeux stupéfaits devant tout ce qui l'entoure !

Je reviens donc dans mon logement temporaire les bras chargés de victuailles aussi alléchantes qu'intrigantes, de plusieurs tenues pour pouvoir changer de vêtements les prochains jours. Je sors d’une de mes poches un portefeuille plein d'un gros paquet de billets, dont je dépose une partie sur la table du salon, en guise de dédommagement pour mes hôtes involontaires. Avec tout cet argent, ils auront de quoi repartir en vacances, mais peut-être en faisant preuve de plus de prudence, cette fois !

Le soir tombe paisiblement. Je décide de passer une soirée terrienne typique, à grignoter divers aliments en regardant la télévision. Cela me confirme mes capacités d'adaptation à mon nouveau mode de vie, car au bout de quelques heures, je m'endors sur le canapé devant l'écran.

 

PAGE SUIVANTE... et dernière !

 

Incursion dans un autre monde

26 octobre 2015

PNJ IRL #21

Une nouvelle inspirée de l'univers de Fabien Fournier, plus particulièrement de Néogicia et de Noob, mais qui peut aussi se lire sans connaître ces deux oeuvres.

Le destin étrange d'un... personnage de jeu vidéo ?

Pour les néophytes : PNJ = "personnage non joueur" d'un jeu vidéo, qui donne généralement une quête au héros incarné par le joueur et répète toujours les mêmes phrases.
IRL = "in real life" ("dans la vie réelle")

DEBUT

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Qui dit nouvelle vie dit nouvelle identité.

Pour ce qui est de mon prénom, rien de plus facile : je souhaite simplement garder celui que mes parents m'ont donné. C'est le seul souvenir que j'ai d'eux, et je refuse de le perdre. En revanche, je ne veux pas du nom qui m'a été attribué à mon arrivée à l'orphelinat. Je n'ai jamais vraiment eu l'impression que c'était le mien, et il y a beaucoup de choses de cet endroit dont je n'ai pas envie de me souvenir trop souvent... Il faut donc que je m'en choisisse un autre, qui me parle suffisamment pour que je n'aie aucune hésitation si quelqu'un l'emploie pour m'appeler... Mais bien sûr, c'est évident ! Il y a un nom qui m'évoque la notion de famille ! Très bien : je serai donc Alya Cadwell.

La date de naissance, à présent. Je crois que je serai davantage prise au sérieux si j'ai la trentaine plutôt que mon âge réel, puisque je ne suis même pas majeure. L'année, c'est réglé ; restent le jour et le mois. N'étant pas familière des noms des mois terriens, bien que je les ai évidemment appris, j'opte pour une solution de facilité : le 1er janvier. Au moins, comme ça, pas de risque de me tromper ni d'oublier !

Dans le même ordre d'idée, je décide que mon lieu de naissance sera la capitale du pays où s'est ouvert le portail et où Horizon a été créé. Cette ville s'appelle Paris, un nom court que je n'aurai pas de mal à retenir.

Pour ce qui est de mon apparence physique, pas de folie non plus. Mon but n'est pas de gagner un concours de beauté mais de me fondre dans la foule. Pour m'inspirer, je regarde une série de brefs films diffusés extrêmement souvent sur les écrans que les Terriens regardent chaque jour. Ils appellent cela de la publicité. Je me demande s'ils ont des problèmes de mémoire, pour avoir besoin de revoir sans cesse les mêmes images leur présentant les mêmes produits, jusqu'à de la simple lessive... Quoi qu'il en soit, cela me permet de me décider pour un visage agréable mais passe-partout, comme celui de la majorité des femmes de ces publicités.

Bon... Maintenant que je dispose de tous ces éléments théoriques, il va falloir passer à la pratique... Je commence par l'étape la plus simple : l'enregistrement de mon identité dans diverses institutions, allant de l'état-civil jusqu'au compte bancaire que, tant qu'à faire, je dote généreusement. J'ai l'intention de voyager autant que je le pourrai sans me soucier des questions matérielles, et ce ne serait pas très compatible avec le fait de devoir me trouver un gagne-pain qui me prendrait un temps fou !

L'étape suivante est un peu plus complexe : déterminer le lieu dans lequel je vais « apparaître ». J'ai plusieurs critères à prendre en compte. Premièrement, il faut que ce soit à proximité de là où vit mon fameux pirate informatique. Il n'a pas été facile à dénicher, mais malgré les précautions dont il s'entoure, je suis parvenue à retrouver sa trace IRL, comme disent les joueurs d'Horizon, c'est-à-dire dans le monde réel. Deuxièmement, il faut que ce soit dans un logement vide mais pas abandonné. Par chance, de nombreux Terriens annoncent leur départ en vacances sur ce qu'ils appellent des réseaux sociaux ; je n'ai donc que l'embarras du choix. En étudiant ces différentes possibilités, je choisis un appartement qui n'est pas équipé d'un quelconque système d'alarme, dans un immeuble assez grand, où les voisins ne feront pas attention si je fais du bruit par inadvertance, et au rez-de-chaussée pour pouvoir sortir par une fenêtre, si je ne trouve pas de double de la clef de la porte d'entrée à l'intérieur.

Ceci fait, je n'ai plus d'autre choix que de me lancer dans la partie la plus incroyablement folle de mon projet : générer un nouveau corps dans lequel mon esprit pourra s'incarner. Si je ne veux pas me faire repérer par les Olydriens ni les Terriens, il va falloir que je sois capable de suivre scrupuleusement le plan que j'ai calculé dans les moindres détails.

Délicatement, j'entreprends de synchroniser le pouvoir des rosaphirs, d'abord celles du laboratoire, puis celles de la base entière et, progressivement, toutes celles d'Olydri, une par une, y compris celles qui n'ont pas encore été découvertes, et même la rosaphir géante qui alimente le bouclier protecteur de Centralis, la capitale démesurée de l'Empire. Cela prend un temps considérable, mais c'est le seul moyen pour que je puisse prélever l'énergie dont j'ai besoin sans attirer l'attention.

Le processus est à peu près identique sur Terre, sauf qu'ils ne produisent pas l'électricité qu'ils consomment en quantité phénoménale à partir de mystérieux fragments de météorites.

A présent que je suis connectée à ces deux sources de puissance à la fois si différentes et si semblables, je dois encore réussir la phase décisive, celle qui déterminera mon succès ou mon échec : harmoniser les flux magiques d'Olydri avec ces deux technologies, car seule la magie a le pouvoir de créer une vie à partir de rien.

En guise de dernier test, de dernière chance de changer d'avis, je n'utilise qu'une toute petite partie de ce formidable pouvoir pour faire surgir de menus objets inertes mais des plus utiles : divers papiers d'identité, une carte bancaire – encore une idée terrienne ingénieuse – et quelques vêtements. Je suis satisfaite de constater que tout se passe bien, mais je sais aussi que ce n'est pas grand-chose, comparé à ce qui m'attend si je persiste dans cette voie ô combien dangereuse.

Allons, du courage : je ne vais pas renoncer à ce stade !

Toutefois, je prends quelques secondes pour serrer mon bien-aimé presque frère dans mes bras virtuels, car le profond sentiment de réconfort que je ressens, lui, est tout ce qu'il y a de plus réel.

Il est temps.

 

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Incursion dans un autre monde

19 octobre 2015

PNJ IRL #20

Une nouvelle inspirée de l'univers de Fabien Fournier, plus particulièrement de Néogicia et de Noob, mais qui peut aussi se lire sans connaître ces deux oeuvres.

Le destin étrange d'un... personnage de jeu vidéo ?

Pour les néophytes : PNJ = "personnage non joueur" d'un jeu vidéo, qui donne généralement une quête au héros incarné par le joueur et répète toujours les mêmes phrases.
IRL = "in real life" ("dans la vie réelle")

DEBUT

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Comme en écho à mes émotions incontrôlables, les rosaphirs qui alimentent le portail se mettent à frémir et à pulser de l'énergie en rythme, tandis que le système électrique terrien commence à osciller sur un tempo identique. Entraînés à leur tour, les flux magiques qui imprègnent tout Olydri s'alignent dans une configuration inédite et entrent eux aussi en résonance avec les deux autres phénomènes. Avant que j'aie le temps de m'interroger sur ce qui est en train de se passer, se produit une sorte de fluctuation bizarre de la trame même de l'espace-temps, et brusquement, une abeille surgit de nulle part, tout près du professeur Akson qui ne peut retenir un mouvement de recul et en fait tomber sa clef par terre.

Une certaine confusion s'empare du laboratoire, entre le professeur qui, affolé, appelle au secours et s'efforce de se tenir à distance de l'insecte dont il redoute la piqûre, et ceux qui se précipitent, qui pour essayer de tuer l'animal, qui pour ramasser la clef et la rendre à son propriétaire. Dans cette ambiance survoltée, la seule à garder son calme et à rester à son poste est Samtha Karter, qui a pour mission de surveiller le portail afin de voir si les Terriens, en analysant le jeu, ne s'approchent pas trop d'un de ses patients intégrés dans un PNJ. J'ai pu constater qu'il y avait un décalage d’environ une minute entre ce qui se passe sur Terre et ce que montre le portail, mais grâce à la diversion provoquée par cette abeille providentielle, le moment où les Terriens, persuadés d'avoir résolu leur problème de piratage, cessent leurs recherches pour se féliciter les uns les autres, est enfin diffusé via le vortex qui relie les deux planètes.

Le docteur Karter signale aussitôt la nouvelle à ses collèges, juste avant que l'un d'eux ne parvienne à écraser l'abeille d'un adroit coup de cahier. Remis de ses émotions, le professeur Akson informe Keynn Lucans de l'évolution de la situation, et à mon profond soulagement, l'Empereur revient sur sa décision et autorise les chercheurs à poursuivre la manœuvre en cours.

Je suis sauvée... mais je n'en reviens vraiment pas !

Maintenant que le calme est revenu, je retourne dans le jeu. J'ai besoin de me replonger dans cet environnement familier qui se répète immuablement pour y trouver un peu de paix et réfléchir, sans risquer d'être distraite, aux événements hallucinants qui viennent de se produire. Je n'ai pas rêvé : je viens d'utiliser la technomagie pour... générer une créature physique bien réelle !

Petit à petit, au fil de ma réflexion, un projet fou prend forme dans mon esprit. Il est si extravagant que j'ai du mal à le formuler consciemment. Et si... je me créais... un nouveau corps sur la Terre ?

Bien sûr, la première fois que cette idée me traverse l'esprit, je la rejette négligemment : ce n'est qu'une de ces stupidités qui vous passent par la tête !

Mais elle revient, insistante, de plus en plus tentante, jusqu'à ce que je finisse par l'examiner plus attentivement. N'est-ce vraiment qu'une idée folle ou... peut-être... Je dois admettre que mon corps me manque. C'est bien d'être un esprit désincarné pour penser beaucoup, BEAUCOUP plus vite, mais il faut avouer que ça manque un peu de sensations! Et puis après tout, cela ne m'engage à rien d'étudier le pour et le contre... C'est décidé, il faut que j'en aie le cœur net : est-ce qu'une telle chose serait réalisable ?

Je pourrais simplement attendre de revenir dans mon corps d'origine entre les phases d' « ascension », mais ce n'est pas une solution très satisfaisante puisque dans ce cas, je ne décide de rien.

Je pourrais me créer un autre corps sur Olydri, avec une toute autre apparence et dans un tout autre lieu...Cette hypothèse me séduit un moment : je me prends à rêver de vengeance machiavélique et implacable... Toutefois, à quoi cela me servirait-il ? Ma pauvre amie ne reviendrait pas à la vie pour autant, hélas... Non, je n'ai plus rien à faire dans ce monde.

La Terre... Plus j'y pense et plus cela me paraît adapté à un nouveau départ. Déjà, là-bas, vu qu'ils n'ont connaissance ni de magie, ni d'aucun portail entre deux mondes, ils ne pourront jamais soupçonner mon origine. De plus, j'y serai à l'abri au cas où des Olydriens découvriraient mon existence, car l'Empereur ne prendra en aucun cas le risque d'ordonner une intervention directe sur Terre, qui pourrait attirer l'attention de ses habitants et de leurs si redoutables moyens technologiques. Enfin, outre l'attrait d'une aventure sur une planète inconnue et tellement différente de la mienne, un dernier argument fait définitivement pencher la balance en faveur de cette option : je pourrai retrouver le pirate informatique qui s'est servi de moi et régler mes comptes avec lui. Il a beau être doué pour effacer ses traces, je sais que je vais réussir à le pister. Prépare-toi à assumer les conséquences de tes actes, « Tenshirock le hacker ».

Bien, maintenant que ma décision est prise, reste un « détail » à régler. Suis-je capable de faire un truc pareil ?

Avant tout, il faut que j'apprenne à mieux connaître mon éventuel futur pays d'adoption. Je suis convaincue que les réponses à toutes mes questions – et bien plus encore ! – se trouvent au-delà de la salle de programmation du MMORPG, dans ces liens impalpables avec le monde du dehors. Me voilà devant eux ; plus qu'à choisir quel passage je vais emprunter... Allez, celui-là !

Je m'engage résolument sur la voie numérique, dissimulée au milieu des 0 et des 1 qui me sont désormais familiers. Du fait de ma vitesse de transmission, la route me paraît assez brève, et tout à coup, je débouche sur... l'infini ! C'est du moins la première impression que je ressens face à cet océan de données si vaste que le monde virtuel d'Horizon dans son intégralité n'y serait guère plus qu'un point perdu dans l'immensité. Pour être sûre de ne pas m'y perdre moi-même, je teste la solidité de mon lien psychique avec les copies de moi qui sont en veille dans le laboratoire de la base secrète et auprès de mon presque frère. Aucun souci de ce côté-là, je pourrai battre en retraite en un instant si le besoin s'en faisait sentir.

Je suis tentée de surfer au hasard sur ces vagues sans fin de données, mais je me raisonne. J'aurai tout le temps pour cela plus tard ; pour le moment, je dois garder mon esprit fixé sur mon but encore incertain et apprendre tout ce qui pourrait m'être utile pour vivre sur la Terre.

La quantité démesurée de références administratives qu'un Terrien de ce pays doit posséder aurait pu me décourager, mais au contraire, je découvre avec joie que tous ces services sont disponibles en version numérique. Ce sera un jeu d'enfant pour moi de m'y introduire et d'y générer tous les documents dont j'aurai besoin, si je peux vraiment parvenir à me créer un corps physique parfaitement viable.

C'est la partie la plus délicate. Je dois calculer avec précision quelle quantité d'énergie technologique et magique me sera nécessaire et, surtout, quelle est la manière la plus discrète de procéder. Pour y réfléchir paisiblement, je retourne à nouveau dans mon PNJ, non sans laisser une copie de sauvegarde de mon esprit cachée dans l'infinité de données que les Terriens nomment Internet. S'il y a bien une chose que ma vie réelle m'a apprise, c'est qu'on n'est jamais trop prudent !

En dépit de mon exceptionnelle vitesse de réflexion et de mes capacités mentales considérablement accrues, ce n'est qu'au bout d'une journée entière de calcul que je m'estime satisfaite du résultat.
Finalement, cette nouvelle « idée folle » va, elle aussi, pouvoir devenir réalité...

 

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Incursion dans un autre monde

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12 octobre 2015

PNJ IRL #19

Une nouvelle inspirée de l'univers de Fabien Fournier, plus particulièrement de Néogicia et de Noob, mais qui peut aussi se lire sans connaître ces deux oeuvres.

Le destin étrange d'un... personnage de jeu vidéo ?

Pour les néophytes : PNJ = "personnage non joueur" d'un jeu vidéo, qui donne généralement une quête au héros incarné par le joueur et répète toujours les mêmes phrases.
IRL = "in real life" ("dans la vie réelle")

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Je suis un peu décontenancée par ce que je découvre une fois arrivée à destination, un instant plus tard. Par chance, il y a, là aussi, plein de dispositifs qui me permettent de voir et d'entendre ce que font les Terriens. Je m'attendais plus ou moins à un laboratoire calme, spacieux, très ordonné, mais il s'agit plutôt d'une pièce de taille moyenne, littéralement envahie d'ordinateurs, de câbles, de reliefs de repas et de gens qui frappent à toute vitesse sur leurs claviers et qui s'interpellent à tue-tête s'ils ont une remarque à faire ou une question à poser à leurs collègues.

Parmi mes nouvelles connaissances, il y a le langage qu'ils parlent, du moins tout le vocabulaire employé dans Horizon. Grâce à cela, même si certains termes m'échappent, je parviens à comprendre qu'un redoutable pirate informatique a implanté un virus quasi indétectable, qui a non seulement perturbé le fonctionnent interne du jeu, mais surtout fait buguer tous les serveurs régionaux de par le monde et éjecté les millions de joueurs d'un seul coup.

Tout à coup, mon attention est attirée par une multitude de ces liens impalpables par où voyagent les données, en plus de celui qui mène au jeu. Certains suivent des câbles, mais d'autres semblent flotter dans les airs partout dans la salle et vers pleins d'autres endroits situés à l'extérieur. On peut dire que ces Terriens baignent littéralement dans un océan numérique dont, contrairement à moi, ils ne perçoivent rien. 

Je venais de choisir au hasard un de ces flux prometteurs pour en découvrir la source ou le but, quand soudain, j'éprouve un vif sentiment d'alerte. Apparemment, une part de moi est restée dans la base secrète impériale et a capté une conversation inquiétante. Je ne suis pas prise au dépourvue par ce dédoublement de ma conscience ; cela m'est arrivé si souvent sous ma forme de PNJ, quand plusieurs joueurs accomplissaient ma quête chacun dans sa propre version !

Tout en laissant, cette fois volontairement, une copie de moi pour surveiller les Terriens, je focalise donc mon esprit sur le laboratoire. Effectivement, ce qui est en train de s'y passer ne me convient pas du tout. Des chercheurs viennent de se rendre compte que les Terriens ont entrepris de passer le jeu au peigne fin pour résoudre le problème de piratage auquel ils sont confrontés. Aussitôt mis au courant de la situation par le professeur Akson, qui dispose d'une communication privée et ultra-prioritaire avec lui, l'Empereur ordonne que toutes les connexions avec le MMORPG soient coupées immédiatement.

Comme boosté par une poussée d'adrénaline virtuelle, mon esprit se met à accélérer prodigieusement sa vitesse de pensée. Première déduction : si le portail entre les deux planètes est fermé, ma conscience va automatiquement réintégrer son point d'origine, c'est-à-dire mon corps physique. Deuxième déduction : les chances que je parvienne à nouveau à m'échapper dans le jeu sont infimes. Il est même assez probable que je perde la raison et que je sois inapte à réitérer l'expérience de cette fameuse « ascension ». Troisième déduction : il faut de toute urgence que j'interrompe le processus de déconnexion.

Pour cela, le moyen le plus efficace est d'éradiquer ce maudit virus, pour qu'Horizon re-fonctionne normalement. Toujours à la même vitesse faramineuse, je décode le moyen d'action de cet élément perturbateur et je calcule le remède à appliquer pour le contrer, inverser ses effets et l'éradiquer totalement.

Dans le monde réel, moins de quatre secondes se sont écoulées quand je déclenche ma contre-offensive. Je la vois se répandre dans toutes les données et rétablir leur fonctionnement initial.

Une interminable poignée de secondes plus tard, la version de moi qui est avec les Terriens assiste à leurs manifestations de joie. Ils ne savent pas vraiment comment ils ont fait ni qui précisément l'a fait mais selon eux, c'est forcément un membre de leur équipe qui a réussi cet exploit, alors dans le doute, ils se congratulent les uns les autres avec enthousiasme.

Malheureusement, je n'ai pas le temps de profiter de ma victoire car, du côté de la base, on est toujours en train de suivre les ordres de Keynn Lucans. Je vois le professeur Akson, l'air grave mais déterminé, s'approcher dangereusement du système d'arrêt d'urgence du portail, à savoir un bouton-poussoir assorti d'une serrure, dans laquelle n'entre que la clef codée qu'il est le seul à avoir en sa possession, à l'exception de l'Empereur, évidement.

La panique accélère désespérément ma pensée jusqu'à son ultime limite. Je fouille frénétiquement tout ce que contiennent les machines de la base, ce qui ne me prend guère de temps car elles sont beaucoup moins évoluées que les ordinateurs terriens. Je parcours avidement un dossier qui me semble prometteur : les notes personnelles du professeur, mais je déchante très vite, car il s'agit plus d'un journal intime que d'une fiche technique expliquant le fonctionnement du système d'arrêt d'urgence. D'ailleurs, il est probable que le professeur ne connaisse pas ces détails, réservés aux techniciens de la base, qui sont des hommes de confiance scrupuleusement sélectionnés par l'Empereur et qui n'iraient sans doute pas dévoiler les secrets de conception d'un matériel aussi sensible... Ça ne m'avance pas à grand-chose d'apprendre, par exemple, qu'Aniel Akson est allergique au venin des abeilles et qu'il a terriblement peur de ces bestioles ! Les chances qu'un tel insecte apparaisse dans le laboratoire pour me sauver la mise sont tellement dérisoires que je n'essaie même pas de les calculer...

Je sens un terrible sentiment de rage impuissante m'envahir.
Je ne veux pas perdre mes nouvelles facultés !
Je veux explorer les liens numériques entre l'endroit où travaille l'équipe de programmeurs d'Horizon et tous ces lieux extérieurs qui me sont encore inconnus !
Je ne veux pas devenir une fille à demi-décérébrée et coincée dans la prison de son corps jusqu'à la fin de ses jours !!

 

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Incursion dans un autre monde

5 octobre 2015

PNJ IRL #18

Une nouvelle inspirée de l'univers de Fabien Fournier, plus particulièrement de Néogicia et de Noob, mais qui peut aussi se lire sans connaître ces deux oeuvres.

Le destin étrange d'un... personnage de jeu vidéo ?

Pour les néophytes : PNJ = "personnage non joueur" d'un jeu vidéo, qui donne généralement une quête au héros incarné par le joueur et répète toujours les mêmes phrases.
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Combien de temps me suis-je promenée ainsi dans cette réplique d'Olydri, à résoudre instantanément toutes les quêtes que je croise, puisque j'en discerne en un instant le début, le déroulement et la fin ? Je n'en ai aucune idée et d'ailleurs, je m'en moque complètement !

Et puis tout à coup, je m'arrête. Au détour d'un chemin, je viens de voir la copie de Centralis. N'ayant jamais vu la cité originale, j'ignore s'il s'agit d'une reproduction fidèle, mais dans tous les cas, c'est un spectacle à couper le souffle. La capitale impériale est haute et vaste comme une montagne étincelante, sous l'aura de son bouclier protecteur généré par la plus grosse rosaphir au monde ! Et puis, je parie que nul ne l'a jamais, comme moi, perçue dans son intégralité. Sa programmation est si complexe et multiple et détaillée que j'en éprouverais presque du vertige. C'est une vision d'un infini de possibilités qu'on pourrait se perdre à contempler jusqu'à la fin des temps...

Brusquement, une part de mon esprit s'affole à cette pensée : suis-je perdue ?! En une fraction de seconde, le pseudo-monde autour de moi change à nouveau et je me retrouve à mon point de départ, juste devant mon cher Cadwell, ce qui apaise immédiatement la panique en moi. Voilà qui est intéressant : je pourrais donc me déplacer quasi instantanément d'un point à autre ? Quelques essais me le confirment rapidement. Décidément, mes capacités mentales s'adaptent à cet univers virtuel avec une vitesse et une facilité stupéfiantes !

Cependant, il demeure une zone inconnue : moi, ou plus exactement le PNJ dans lequel on m'a intégrée. Bien sûr, à peine me suis-je posé cette question qu'un nouveau processus bizarre s'efforce d'y répondre. J'ai l'impression indescriptible et parfaitement déplaisante, mais heureusement brève, que mon esprit se retourne sur lui-même, et pour la première fois, je vois celle que je suis au sein d'un jeu vidéo sur une autre planète, ce qui est une des pensées les plus étranges de mon existence... Ma première réflexion, c'est que physiquement, je ne me ressemble pas du tout – et hop, encore une pensée étrange à mon palmarès ! J'ai indéniablement un air de famille avec mon frère, ce qui me fait plutôt plaisir.

En examinant plus attentivement les données qui me composent, j'ai la sensation qu'une chose ne va pas... Non, plusieurs choses, en fait, mais tellement imperceptibles que je ne crois pas que quelqu'un d'autre puisse s'en rendre compte, sauf s'il partage la même expérience que moi.

L'une de ces anomalies forme une corde irréelle qui relie mon PNJ à je ne sais quoi. Je décide d'aller voir de plus près ce dont il s'agit. Je me mets donc à suivre cette corde impalpable et là, nouvelle surprise, et non des moindres : j'arrive dans le laboratoire où sont alignés les cobayes humains en pleine « ascension », dont mon corps réel fait bien évidemment partie.

Mon esprit semble pouvoir s'infiltrer dans toutes les machines qui ont pour point commun l'utilisation de ce langage binaire. Me voici donc capable, en quelques instants, de me retrouver en même temps dans tous ces appareils, y compris dans les caméras et les micros qui enregistrent tout ce qui se passe dans cette salle. Apparemment, il y règne une certaine confusion. Les catalyseurs de puissance sont toujours bien de l'autre côté du portail, mais le taux d'énergie qu'ils récupèrent a chuté de façon spectaculaire suite à un incident inexplicable, qui a rendu le MMORPG Horizon complètement instable et en a éjecté brutalement tous les joueurs, environ une heure plus tôt.

J'en déduis que c'est l'œuvre de cet homme qui m'a tenu des propos sans queue ni tête avant d'embrasser mon PNJ sur le front. Je commence à mieux comprendre ce qui s'est passé. Quand l'avatar de ce joueur m'a touchée, il a dû en fait se servir de moi comme d'une porte d'accès aux données numériques constitutives du monde virtuel, et il en a profité pour y introduire quelque chose qui en a perturbé le fonctionnement. Pour en avoir le cœur net, je retourne dans le jeu pour réexaminer mon avatar à la lumière de ces informations. Cela confirme ma théorie : il y a dans mes données des traces du passage d'un élément étranger qui a subtilement modifié l'ordre de certains 0 et 1. En analysant les alentours, je constate qu'il s'est répandu partout pour y semer une discrète pagaille, dont je devine qu'elle doit être extrêmement difficile à repérer et, surtout, à réparer. J'en viens à me demander comment j'arrive à détecter tout cela. A croire qu'en devenant moi-même une sorte de donnée du jeu, j'ai acquis la capacité de distinguer ce qui y fonctionne correctement de ce qui en altère la programmation originelle...

Cela me fait penser qu'il doit y avoir, quelque part, des programmeurs en train d'essayer de résoudre ce problème. Que se passerait-il si j'essayais de les trouver ? La curiosité ne doit cependant pas me faire oublier les judicieux conseils de prudence de l'Empereur : je ne souhaite pas du tout risquer de faire découvrir la véritable Olydri aux Terriens ! C'est donc avec beaucoup de précaution que je pars à leur recherche.

Je prends encore plus de recul, jusqu'à avoir une sorte de vue d'ensemble de la situation. Tout le jeu me fait face à présent, mouvant et insaisissable du fait de la perception intégrale que j'ai de chaque détail. Je pense que ce que je cherche doit ressembler à l'espèce de lien qui relie mon PNJ à mon corps réel. Oui, là, je l'ai trouvé ! C'est bien le même genre de « corde » intangible, mais en beaucoup plus grand ; il faut dire qu'il y circule un nombre de données bien plus considérable.

D'une pensée, me voilà à l'entrée du passage par où toutes les nouvelles programmations d'Horizon s'intègrent aux anciennes, les modifient ou les suppriment, dans un flux incessant. Je décide de faire confiance aux extraordinaires capacités que mon esprit a développées dans cet environnent numérique, pour m'infiltrer jusqu'au point d'origine sans me faire repérer. Je suis consciente qu'il existe un risque infime que l'on découvre ma présence, mais la curiosité est trop forte. Et puis, me dis-je pour finir de me convaincre, j'ai besoin d'en savoir plus sur ce qui se passe depuis que l'inconnu a déréglé le jeu par mon intermédiaire. Sans tergiverser davantage, je me remets au niveau le plus petit et je m'élance dans le flot de nombres.

 

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Incursion dans un autre monde

28 septembre 2015

PNJ IRL #17

Une nouvelle inspirée de l'univers de Fabien Fournier, plus particulièrement de Néogicia et de Noob, mais qui peut aussi se lire sans connaître ces deux oeuvres.

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Maintenant que mes souvenirs sont de nouveau en ordre, je commence à comprendre ce qui a pu m'arriver. Même si j'ignore encore comment, l'homme étrange qui m'a embrassée sur le front est parvenu à déconnecter mon esprit du PNJ auquel il avait été intégré. Samtha m'a parlé de personnes n'ayant pas supporté leur « ascension » et dont l'esprit n'a jamais pu regagner leur corps ; ont-elles connu un sort similaire au mien ? Leur conscience impuissante flotte-t-elle désormais dans ce néant ?

Machinalement, cette question attire mon attention sur l'extérieur de mes pensées, et tout à coup, je me rends compte que j'ai commis une erreur de jugement. Ce n'est pas le néant qui m'entoure. Je ne sais pas trop par quel sens je suis en mesure de le percevoir, mais le fait est là : je ne suis pas au milieu de rien. Bien au contraire, je baigne au cœur d'un océan de petites particules étranges. En me concentrant de plus en plus sur elles, je « vois » – ce n'est pas le terme exact, mais je n'en connais pas de plus approprié – qu'elles se déplacent à toute vitesse dans toutes les directions en émettant une sorte de lueur. De quoi peut-il bien s'agir ?

Alors que j'essaie de mieux les examiner, un nouveau phénomène insolite se produit. Les particules semblent soudain ralentir, à moins que ce ne soit mon esprit qui accélère jusqu'à atteindre leur rythme. Quoi qu'il en soit, je peux maintenant les observer à loisir, et même de beaucoup plus près et sous d'autres angles. Mais... est-ce que... Mais oui, pas de doute ! Ce sont des séries de nombres qui défilent ainsi de toutes parts ! En les observant mieux, je me rends compte qu’il y a aussi des lettres, mais assez curieusement, elles ne vont pas plus loin que F. Le plus incompréhensible, c’est que même ces lettres, en fait, ne sont que des 0 et des 1…

Abasourdie, j'ai une sorte de réflexe de recul, qui se traduit encore par un changement de perception de ce monde virtuel. Les particules numériques deviennent si infimes qu'elles perdent leur individualité pour former des sortes de masses de données chiffrées. En m'éloignant davantage, je m'aperçois qu'elles ne circulent pas au hasard mais selon une certaine logique, qui me reste pour l'instant étrangère. Je pense que si je veux avoir une chance de la décrypter, il faut d'abord que j'essaye de contrôler mes « déplacements » dans cet endroit, si on peut parler d'endroit... Oh, mais c'est très facile, en fait ! Il me suffit de penser que je veux m'approcher ou m'éloigner pour que ma faculté de perception s'adapte quasi instantanément. Rassurée de constater que je dispose d'une certaine maîtrise de la situation, je décide de tester jusqu'où je peux aller. Quand je « zoome », j'atteins assez vite ma limite : je ne peux pas aller au-delà des 0 et des 1, qui doivent donc être les éléments de base. En revanche, j'ai l'impression que dans l'autre sens, je peux aller beaucoup, beaucoup plus loin que lors de ma première expérience involontaire. Je procède avec prudence, par paliers successifs, afin de garder le contrôle autant que possible. De toute manière, je crois bien que maintenant, j'ai tout mon temps pour tenter de percer les secrets de ce lieu, que je pressens être en rapport étroit avec le fameux monde virtuel d'Horizon.

Une partie de moi, celle qui était devenue mon PNJ pour en ressentir les émotions sans cesse répétées, ne peut s'empêcher d'espérer retrouver mon presque petit frère Cadwell. Comme en réponse à cet espoir utopique, mon environnement subit une nouvelle transformation. D'un seul coup, je prends tant de recul que même les ensembles contenant d'énormes quantités de données composées d'innombrables 0 et 1, deviennent minuscules et se fondent dans une masse géante. A cette échelle, j'en saisis enfin le sens. Si j'avais un corps, mon cœur battrait plus fort, ma gorge se nouerait et mes yeux pleureraient, car toutes ces particules assemblées SONT Cadwell. Chaque image de lui, chaque geste qu'il peut faire, chaque mot qu'il peut prononcer, tout cela est contenu dans ce programme qui le définit entièrement. Et même s'il n'est qu'un agglomérat d'éléments virtuels conçu pour ne pouvoir que se répéter en boucle, comme j'aimerais te serrer dans mes bras et te dire à quel point je t'aime, mon frère !

Allons, il faut que je me ressaisisse. A regret, je me détourne pour fixer mon attention sur d'autres éléments autour de moi. Je ne sais toujours pas comment, mais mon esprit est capable de décoder sans effort les amas de données dans lesquelles il flotte. Je reconnais le rocher derrière lequel je me suis si souvent cachée, et de la même manière que pour Cadwell, je le perçois dans son intégralité : sous tous les angles simultanément, avec toutes les luminosités possibles, à la fois de près et de loin...Je crois qu'il vaut mieux que je n'ai plus de corps, car jamais mes yeux n'auraient supporté cela !

Je prends encore un tout petit peu de recul, et je « vois » la zone qui entourait mon PNJ, la forêt, la colline, le lac, les ruines du temple, la grotte, les bandits... Rien n'est réel alors que tout m'est si familier !

Je tente alors une autre expérience : pourrais-je suivre la route sur laquelle j'ai vu passer tant et tant d'avatars de joueurs ? Mais oui, je peux me déplacer à ma guise et découvrir des contrées qui me sont parfaitement inconnues, puisque mon PNJ n'était pas programmé pour voyager. Quoique... Est-ce que je me déplace vraiment, ou est-ce le monde virtuel qui défile devant ma conscience ? Bah, peu importe : tout ce qui compte, c'est de découvrir de nouveaux horizons !

 

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Incursion dans un autre monde

21 septembre 2015

PNJ IRL #16

Une nouvelle inspirée de l'univers de Fabien Fournier, plus particulièrement de Néogicia et de Noob, mais qui peut aussi se lire sans connaître ces deux oeuvres.

Le destin étrange d'un... personnage de jeu vidéo ?

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Par chance, les histoires d'Olydri semblaient fasciner les Terriens, du moins plusieurs millions d'entre eux. Des troupeaux entiers d'avatars arpentaient sans cesse ce monde virtuel, s'adressant parfois, sans le savoir, à des PNJ pas tout à fait comme les autres, dont les émotions bien réelles engendraient d'énormes flux d'énergie technomagique.

Emerveillé par la tournure que prenait cette expérience dont il était le fondateur, le professeur Aniel Akson, emporté par un élan lyrique, baptisa « ascension » le phénomène de transplantation de l'esprit des cobayes olydriens au sein du jeu terrien.

– C'est cela qui m'attend, n'est-ce pas ? Cette « ascension » ? Eh bien, pourquoi pas... Ça aurait pu être pire, si j'étais arrivée ici au moment où les prisonniers étaient torturés !

Je fus surprise de voir Samtha blêmir et serrer les poings.

– Ne crois pas que ce soit sans risque ni conséquence ! Pour des magiciens comme Saryü, qui ont la maîtrise de puissants pouvoirs mentaux, tout se passe effectivement très bien, mais pour les autres, ce n'est pas aussi évident. Il est arrivé que des personnes perdent la raison suite à leur « ascension », ou même que leur esprit se dissolve dans les innombrables données du jeu et ne puisse jamais regagner leur corps... De plus, on sait désormais maintenir un portail ouvert pendant de très longues périodes, en installant les catalyseurs de puissance dans des sortes de cocons de stase où ils peuvent rester pendant des jours et des jours, leurs fonctions vitales quasiment suspendues. Certains sont connectés au monde virtuel d'Horizon depuis plus de trois semaines sans interruption, et nous ignorons encore s'ils en sortiront indemnes ! D'habitude, j'essaye de me consoler en me disant qu'il s'agit de criminels condamnés à mort et que cela leur offre au moins une chance de survie, mais toi, Alya, tu es innocente, et si jeune ! Je refuse que tu serves de cobaye, c'est trop dangereux ! Mais j'y ai réfléchi, tu sais, et je pense avoir trouvé la solution.

Je n'eus pas de mal à deviner où elle voulait en venir.

– Tu veux parler de moi à l'Empereur ?

– Exactement ! Il a prouvé qu'il était quelqu'un de bien en se souciant de la manière dont étaient traités des gens qui sont pourtant des meurtriers ou des ennemis de l'Empire, alors je suis sûre qu'il sera sensible à ta situation, surtout en voyant les éléments que j'ai trouvés et qui prouvent que tu as été victime d'un épouvantable complot !

Je secouai doucement la tête, l'air navré. J'étais désolée d'avance de ce que j'allais lui dire, mais je ne pouvais pas faire autrement. Inutile de la laisser se bercer d'illusions plus longtemps.

– Mais même si c'était vrai, Samtha, que se passerait-il ensuite ?

Elle me fixa sans comprendre, aussi continuai-je mon raisonnement.

– Admettons que l'Empereur intervienne en ma faveur : que pourra-t-il faire ? Il lui sera impossible de condamner les gens qui m'ont piégée sans aucune preuve à charge.

– Voyons, il lui suffira de te faire témoigner et de se servir de ce que j'ai découvert pour prouver ta bonne foi !

– Mais non, il ne le pourra pas. Tu oublies que j'ai publiquement été exécutée. Comment expliquerait-il ma « résurrection » sans risquer de trahir le secret de ce qui se passe ici ? Parce que s'il révèle que mon exécution n'était qu'un faux-semblant, des personnes vont forcément chercher à savoir si cela n’est pas aussi le cas pour d'autres condamnés à mort, et elles finiraient sans doute par tout découvrir. Crois-tu vraiment que Keynn Lucans, qui est forcément un homme pragmatique et calculateur après avoir régné si longtemps, quelle que soit son opinion sur la question, acceptera, rien que pour moi, de mettre en danger des expérimentations aussi fructueuses et porteuses de tant de promesses pour l'avenir de l'Empire ?

Le visage de Samtha se décomposait à vue d'œil, mais elle n'était pas du genre à abandonner si facilement.

– Peut-être qu'il ne pourra pas te rendre justice, mais il pourra au moins t'offrir une vie plus agréable qu'ici...

De nouveau, je hochai négativement la tête.

– Maintenant que je suis au courant de tout, et ne sachant pas si je n'essayerai pas de me venger de ceux qui m'ont condamnée et qui sont, de plus, responsables de la mort de ma meilleure amie Bilana, il ne me laissera certainement pas aller et venir librement, surtout que quelqu'un pourrait me reconnaître, étant donné que les journaux ont parlé de mon affaire et publié des photos de moi. La seule option envisageable serait de m'enfermer dans une prison dorée jusqu'à la fin de mes jours, ou au minimum pendant de longues, très longues années, jusqu'à ce que je vieillisse assez pour qu'on ait oublié cette histoire et que je sois méconnaissable.

La pauvre Samtha avait les larmes aux yeux, aussi décidai-je de terminer mon propos sur une note plus positive.

– Si je dois renoncer à ma liberté sur Olydri, je préfère tenter ma chance avec cette fameuse « ascension ». J'ai bien pris note des risques que cela comportait, mais pour une fois dans ma courte vie, je veux pouvoir choisir mon destin moi-même. Je ne suis pas effrayée par l'idée d'incarner un PNJ dans un jeu bizarre d'une étrange planète située au-delà d'un mystérieux portail, parce que je sais que quoi qu'il arrive, tu t'occuperas de moi avec humanité et, je me plais à le croire, avec affection.

Cette fois, elle pleurait vraiment, et elle me serra soudainement dans ses bras.

– Si c'est ce que tu veux vraiment, je te promets que je veillerai sur toi le mieux possible. Mais je parlerai quand même de toi à l'Empereur : comme tu l'as dit toi-même, il a énormément d'expérience. Si quelqu'un peut trouver une autre solution, c'est bien lui ! Dans ce cas, j'arrêterais immédiatement ton « ascension » pour que tu puisses profiter de la vie meilleure que tu mérites.

J'acquiesçai, mais au fond de moi, je doutai qu'une telle solution existe. Quoi qu'il en soit, je voulais encore poser une importante question à Samtha.

– Peut-on choisir le genre de PNJ qu'on voudrait devenir ?

– Cela doit respecter certains critères, notamment en termes de respect de la plus grande discrétion possible. Pourquoi, tu penses à quelque chose de particulier ?

– En fait, ce que je voudrais, c'est avoir une famille aimante et que ça finisse bien pour moi, bref tout le contraire de ma vie réelle.

– Tu peux me faire confiance : j'y veillerai personnellement.

Je sais à présent que tu as tenu ta parole. Merci, chère docteur Samtha Karter, de m'avoir offert un frère à aimer autant.

Et je sais aussi, vu le temps qui a passé depuis mon arrivée dans le Plan Horizon, que le grand Empereur Keynn Lucans
lui-même n'a pas trouvé de meilleure solution que celle d'une insignifiante jeune fille ;
d'une certaine façon, j'en ressens de la fierté.

 

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Incursion dans un autre monde

14 septembre 2015

PNJ IRL #15

Une nouvelle inspirée de l'univers de Fabien Fournier, plus particulièrement de Néogicia et de Noob, mais qui peut aussi se lire sans connaître ces deux oeuvres.

Le destin étrange d'un... personnage de jeu vidéo ?

Pour les néophytes : PNJ = "personnage non joueur" d'un jeu vidéo, qui donne généralement une quête au héros incarné par le joueur et répète toujours les mêmes phrases.
IRL = "in real life" ("dans la vie réelle")

DEBUT

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Les semaines qui suivirent furent sans doute les plus éprouvantes que connurent les prisonniers de la base. A chaque fois qu'ils servaient à ouvrir un portail, ils étaient torturés pour récupérer un maximum d'énergie pour recharger des pierres vidées en d'autres circonstances.

Samtha trouvait cela révoltant : il devait exister un moyen moins cruel de procéder ! Hélas, ce sujet n'intéressait guère ses collègues, tout occupés qu'ils étaient à accumuler, en plus d'une source de puissance gigantesque, des connaissances sur ce nouveau monde qui s'offrait à eux. Constatant leur indifférence face à ses préoccupations, le docteur Karter se lança alors dans ses propres recherches scientifico-médicales. Il ne lui fallut qu'une dizaine de jours pour parvenir à des résultats très encourageants et beaucoup plus supportables par ses patients. Leurs analyses sanguines révélèrent une forte augmentation d'adrénaline et d'autres hormones liées aux souffrances qu'on leur infligeait. C'était sans doute la clef du phénomène qui les transformait en « piles vivantes » ; or, d'autres stimuli bien moins pénibles provoquaient des réactions similaires sans mettre leur vie en danger. Samtha réussit même à mettre en évidence qu'une alternance d'émotions négatives et positives, par exemple une grande peur suivie d'un profond soulagement, générait des capacités de réceptacle énergétique meilleures que celle produite par la seule souffrance physique, aussi intense fût-elle.

Malheureusement, un obstacle demeurait : il n'était pas facile de déclencher sur commande l'état psychique adéquat. Samtha était convaincue qu'il était possible de mettre au point un appareil capable d'interférer avec l'esprit des cobayes magiciens, puisqu'une transe hypnotique y parvenait, mais là encore, elle se heurta au manque d'intérêt des chercheurs, pour qui la torture physique représentait un moyen simple et efficace de produire l'effet désiré. De plus, ils n'utilisaient que des criminels civils ou militaires ; ces gens-là n'avaient-ils pas mérité leur sort ?

Ecœurée par ce raisonnement tellement contraire à ses convictions, Samtha, en désespoir de cause, avait fini par jouer une dernière carte qui, si elle échouait, lui coûterait certainement sa carrière : elle écrivit à l'Empereur en lui résumant la situation et en lui demandant une audience privée pour lui exposer ses arguments.

Après une angoissante semaine sans réponse, Keynn Lucans l'invita à venir lui rendre visite dans l'une de ses résidences, située dans une ville assez proche de la base. Le cœur battant la chamade, elle lui parla de sa découverte, qui pourrait considérablement améliorer le sort de ses patients – elle insista sur ce terme – tout en permettant de recueillir une quantité d'énergie équivalente, voire plus élevée. Bien sûr, cela nécessitait de prendre le temps de développer une interface efficace pour agir sur les émotions des catalyseurs de puissance – c'était désormais l'expression officielle pour désigner les cobayes humains – mais au final, cela n'apporterait que des bénéfices. Certes, il semblait plus simple, dans l'immédiat, d'employer la douleur physique comme vecteur, mais l'Empire pouvait-il vraiment asseoir son pouvoir sur la torture sans remettre en question ses valeurs fondamentales ?

Suite à son exposé et surtout à sa dernière tirade, Samtha se sentit soudainement épuisée, les mains tremblantes, dans l'attente de la décision de l'Empereur... jusqu'à ce que sa réponse la regonfle à bloc : il acceptait de donner suite à sa proposition et, mieux encore, il la félicitait pour l'humanité dont elle faisait preuve face à la tâche si difficile qu'il lui avait confiée !

Ce fut le début d'une nouvelle ère pour le docteur Karter. Maintenant qu'elle avait le soutien de l'Empereur, on prêta à ses théories une oreille infiniment plus attentive. Un brillant spécialiste du psychisme, Erasm Mentä, vint bientôt renforcer les rangs des chercheurs de la base. Seulement trois mois après son arrivée, il mit au point le premier générateur virtuel d'émotions. Le plus étonnant, c'est que pour y parvenir, il s'inspira des fameux MMORPG de la Terre, qui étaient précisément conçus pour procurer des émotions aux millions de joueurs qui se passionnaient pour les aventures de leurs avatars.

Il ne se moqua pas non plus de Samtha lorsqu'elle se décida à lui parler de cette idée bizarre qui lui trottait dans la tête depuis que l'un des prisonniers était accidentellement entré dans l'esprit d'un Terrien endormi et qu'il lui avait transmis des données sur Olydri. Depuis ce mystérieux incident, le Terrien en question, dont l'ambition était justement de créer un de ces MMORPG si populaires, faisait l'objet d'une surveillance régulière, toujours quand il était éveillé, pour minimiser les risques d'un autre contact involontaire qui aurait pu le faire douter qu'il ne s'agisse que d'un rêve étrangement réaliste. Mais... que se passerait-il si ce contact, au lieu d'être involontaire, était au contraire parfaitement contrôlé ? Ne pourrait-on pas imaginer influencer subtilement son esprit inconscient, de manière à ce qu'il crée un monde virtuel à l'image du véritable monde d'Olydri ? Ce pourrait être la cachette parfaite pour y camoufler des catalyseurs de puissance, sous l'apparence de PNJ soumis indéfiniment à des flots répétitifs d'émotions contrastées, récupérant ainsi un maximum d'énergie technomagique sans se faire repérer !

Cette « idée folle » enthousiasma Erasm Mentä, qui déclara qu'il fallait sans attendre en parler à l'Empereur. Avant d'en arriver là, Samtha tint à partager ce plan un peu hasardeux avec Saryü : qui, mieux que celui qui était entré en contact avec l'esprit du Terrien, pourrait donner un avis valable sur sa faisabilité ? De fait, le prisonnier fut très intéressé par ce projet, d'autant que depuis ce premier contact, il espérait secrètement avoir une nouvelle occasion d'établir un lien avec un habitant de cet autre monde qu'il avait entrevu. Il était convaincu de sa capacité à influencer les « songes » du Terrien à sa guise ; il faut dire que ses pouvoirs magiques s'exerçaient précisément dans le domaine de la télépathie et du contrôle mental.

Mis au courant, Keynn Lucans prit le temps de réfléchir avant de donner son accord. Il rappela avec insistance la nécessité absolue de ne pas se faire repérer par les Terriens, que ce soit le concepteur de MMORPG ou n'importe quel autre. Un seul faux-pas à ce niveau signerait l'arrêt immédiat de l'utilisation du portail pour de très, très nombreuses années, et accessoirement la mise au secret de tous les participants, chercheurs comme cobayes.

Heureusement, ses craintes se révélèrent vaines. Avec l'aide d'Erasm et de Samtha, Saryü parvint à instiller progressivement des connaissances sur Olydri durant les périodes de sommeil du Terrien, qui ne se douta jamais qu'il pouvait s'agir d'autre chose que de rêves particulièrement inspirants.

En revanche, il lui fallut du temps, beaucoup de temps, pour finaliser ce MMORPG... Samtha n'en revenait pas que concevoir un jeu puisse être aussi long ni mobiliser autant de personnes, non seulement pour peaufiner les quêtes qui devraient captiver les joueurs, mais aussi pour résoudre d'innombrables difficultés techniques, pour rendre ce monde virtuel aussi réaliste et immersif que possible, selon les termes consacrés que Saryü expliquait au fur et à mesure.

Cela dura si longtemps que Samtha me dit que cela faisait à peine quelques mois que le MMORPG avait été lancé, sous le nom d'Horizon.

 

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