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28 septembre 2015

PNJ IRL #17

Une nouvelle inspirée de l'univers de Fabien Fournier, plus particulièrement de Néogicia et de Noob, mais qui peut aussi se lire sans connaître ces deux oeuvres.

Le destin étrange d'un... personnage de jeu vidéo ?

Pour les néophytes : PNJ = "personnage non joueur" d'un jeu vidéo, qui donne généralement une quête au héros incarné par le joueur et répète toujours les mêmes phrases.
IRL = "in real life" ("dans la vie réelle")

DEBUT

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Maintenant que mes souvenirs sont de nouveau en ordre, je commence à comprendre ce qui a pu m'arriver. Même si j'ignore encore comment, l'homme étrange qui m'a embrassée sur le front est parvenu à déconnecter mon esprit du PNJ auquel il avait été intégré. Samtha m'a parlé de personnes n'ayant pas supporté leur « ascension » et dont l'esprit n'a jamais pu regagner leur corps ; ont-elles connu un sort similaire au mien ? Leur conscience impuissante flotte-t-elle désormais dans ce néant ?

Machinalement, cette question attire mon attention sur l'extérieur de mes pensées, et tout à coup, je me rends compte que j'ai commis une erreur de jugement. Ce n'est pas le néant qui m'entoure. Je ne sais pas trop par quel sens je suis en mesure de le percevoir, mais le fait est là : je ne suis pas au milieu de rien. Bien au contraire, je baigne au cœur d'un océan de petites particules étranges. En me concentrant de plus en plus sur elles, je « vois » – ce n'est pas le terme exact, mais je n'en connais pas de plus approprié – qu'elles se déplacent à toute vitesse dans toutes les directions en émettant une sorte de lueur. De quoi peut-il bien s'agir ?

Alors que j'essaie de mieux les examiner, un nouveau phénomène insolite se produit. Les particules semblent soudain ralentir, à moins que ce ne soit mon esprit qui accélère jusqu'à atteindre leur rythme. Quoi qu'il en soit, je peux maintenant les observer à loisir, et même de beaucoup plus près et sous d'autres angles. Mais... est-ce que... Mais oui, pas de doute ! Ce sont des séries de nombres qui défilent ainsi de toutes parts ! En les observant mieux, je me rends compte qu’il y a aussi des lettres, mais assez curieusement, elles ne vont pas plus loin que F. Le plus incompréhensible, c’est que même ces lettres, en fait, ne sont que des 0 et des 1…

Abasourdie, j'ai une sorte de réflexe de recul, qui se traduit encore par un changement de perception de ce monde virtuel. Les particules numériques deviennent si infimes qu'elles perdent leur individualité pour former des sortes de masses de données chiffrées. En m'éloignant davantage, je m'aperçois qu'elles ne circulent pas au hasard mais selon une certaine logique, qui me reste pour l'instant étrangère. Je pense que si je veux avoir une chance de la décrypter, il faut d'abord que j'essaye de contrôler mes « déplacements » dans cet endroit, si on peut parler d'endroit... Oh, mais c'est très facile, en fait ! Il me suffit de penser que je veux m'approcher ou m'éloigner pour que ma faculté de perception s'adapte quasi instantanément. Rassurée de constater que je dispose d'une certaine maîtrise de la situation, je décide de tester jusqu'où je peux aller. Quand je « zoome », j'atteins assez vite ma limite : je ne peux pas aller au-delà des 0 et des 1, qui doivent donc être les éléments de base. En revanche, j'ai l'impression que dans l'autre sens, je peux aller beaucoup, beaucoup plus loin que lors de ma première expérience involontaire. Je procède avec prudence, par paliers successifs, afin de garder le contrôle autant que possible. De toute manière, je crois bien que maintenant, j'ai tout mon temps pour tenter de percer les secrets de ce lieu, que je pressens être en rapport étroit avec le fameux monde virtuel d'Horizon.

Une partie de moi, celle qui était devenue mon PNJ pour en ressentir les émotions sans cesse répétées, ne peut s'empêcher d'espérer retrouver mon presque petit frère Cadwell. Comme en réponse à cet espoir utopique, mon environnement subit une nouvelle transformation. D'un seul coup, je prends tant de recul que même les ensembles contenant d'énormes quantités de données composées d'innombrables 0 et 1, deviennent minuscules et se fondent dans une masse géante. A cette échelle, j'en saisis enfin le sens. Si j'avais un corps, mon cœur battrait plus fort, ma gorge se nouerait et mes yeux pleureraient, car toutes ces particules assemblées SONT Cadwell. Chaque image de lui, chaque geste qu'il peut faire, chaque mot qu'il peut prononcer, tout cela est contenu dans ce programme qui le définit entièrement. Et même s'il n'est qu'un agglomérat d'éléments virtuels conçu pour ne pouvoir que se répéter en boucle, comme j'aimerais te serrer dans mes bras et te dire à quel point je t'aime, mon frère !

Allons, il faut que je me ressaisisse. A regret, je me détourne pour fixer mon attention sur d'autres éléments autour de moi. Je ne sais toujours pas comment, mais mon esprit est capable de décoder sans effort les amas de données dans lesquelles il flotte. Je reconnais le rocher derrière lequel je me suis si souvent cachée, et de la même manière que pour Cadwell, je le perçois dans son intégralité : sous tous les angles simultanément, avec toutes les luminosités possibles, à la fois de près et de loin...Je crois qu'il vaut mieux que je n'ai plus de corps, car jamais mes yeux n'auraient supporté cela !

Je prends encore un tout petit peu de recul, et je « vois » la zone qui entourait mon PNJ, la forêt, la colline, le lac, les ruines du temple, la grotte, les bandits... Rien n'est réel alors que tout m'est si familier !

Je tente alors une autre expérience : pourrais-je suivre la route sur laquelle j'ai vu passer tant et tant d'avatars de joueurs ? Mais oui, je peux me déplacer à ma guise et découvrir des contrées qui me sont parfaitement inconnues, puisque mon PNJ n'était pas programmé pour voyager. Quoique... Est-ce que je me déplace vraiment, ou est-ce le monde virtuel qui défile devant ma conscience ? Bah, peu importe : tout ce qui compte, c'est de découvrir de nouveaux horizons !

 

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Incursion dans un autre monde

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21 septembre 2015

PNJ IRL #16

Une nouvelle inspirée de l'univers de Fabien Fournier, plus particulièrement de Néogicia et de Noob, mais qui peut aussi se lire sans connaître ces deux oeuvres.

Le destin étrange d'un... personnage de jeu vidéo ?

Pour les néophytes : PNJ = "personnage non joueur" d'un jeu vidéo, qui donne généralement une quête au héros incarné par le joueur et répète toujours les mêmes phrases.
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DEBUT

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Par chance, les histoires d'Olydri semblaient fasciner les Terriens, du moins plusieurs millions d'entre eux. Des troupeaux entiers d'avatars arpentaient sans cesse ce monde virtuel, s'adressant parfois, sans le savoir, à des PNJ pas tout à fait comme les autres, dont les émotions bien réelles engendraient d'énormes flux d'énergie technomagique.

Emerveillé par la tournure que prenait cette expérience dont il était le fondateur, le professeur Aniel Akson, emporté par un élan lyrique, baptisa « ascension » le phénomène de transplantation de l'esprit des cobayes olydriens au sein du jeu terrien.

– C'est cela qui m'attend, n'est-ce pas ? Cette « ascension » ? Eh bien, pourquoi pas... Ça aurait pu être pire, si j'étais arrivée ici au moment où les prisonniers étaient torturés !

Je fus surprise de voir Samtha blêmir et serrer les poings.

– Ne crois pas que ce soit sans risque ni conséquence ! Pour des magiciens comme Saryü, qui ont la maîtrise de puissants pouvoirs mentaux, tout se passe effectivement très bien, mais pour les autres, ce n'est pas aussi évident. Il est arrivé que des personnes perdent la raison suite à leur « ascension », ou même que leur esprit se dissolve dans les innombrables données du jeu et ne puisse jamais regagner leur corps... De plus, on sait désormais maintenir un portail ouvert pendant de très longues périodes, en installant les catalyseurs de puissance dans des sortes de cocons de stase où ils peuvent rester pendant des jours et des jours, leurs fonctions vitales quasiment suspendues. Certains sont connectés au monde virtuel d'Horizon depuis plus de trois semaines sans interruption, et nous ignorons encore s'ils en sortiront indemnes ! D'habitude, j'essaye de me consoler en me disant qu'il s'agit de criminels condamnés à mort et que cela leur offre au moins une chance de survie, mais toi, Alya, tu es innocente, et si jeune ! Je refuse que tu serves de cobaye, c'est trop dangereux ! Mais j'y ai réfléchi, tu sais, et je pense avoir trouvé la solution.

Je n'eus pas de mal à deviner où elle voulait en venir.

– Tu veux parler de moi à l'Empereur ?

– Exactement ! Il a prouvé qu'il était quelqu'un de bien en se souciant de la manière dont étaient traités des gens qui sont pourtant des meurtriers ou des ennemis de l'Empire, alors je suis sûre qu'il sera sensible à ta situation, surtout en voyant les éléments que j'ai trouvés et qui prouvent que tu as été victime d'un épouvantable complot !

Je secouai doucement la tête, l'air navré. J'étais désolée d'avance de ce que j'allais lui dire, mais je ne pouvais pas faire autrement. Inutile de la laisser se bercer d'illusions plus longtemps.

– Mais même si c'était vrai, Samtha, que se passerait-il ensuite ?

Elle me fixa sans comprendre, aussi continuai-je mon raisonnement.

– Admettons que l'Empereur intervienne en ma faveur : que pourra-t-il faire ? Il lui sera impossible de condamner les gens qui m'ont piégée sans aucune preuve à charge.

– Voyons, il lui suffira de te faire témoigner et de se servir de ce que j'ai découvert pour prouver ta bonne foi !

– Mais non, il ne le pourra pas. Tu oublies que j'ai publiquement été exécutée. Comment expliquerait-il ma « résurrection » sans risquer de trahir le secret de ce qui se passe ici ? Parce que s'il révèle que mon exécution n'était qu'un faux-semblant, des personnes vont forcément chercher à savoir si cela n’est pas aussi le cas pour d'autres condamnés à mort, et elles finiraient sans doute par tout découvrir. Crois-tu vraiment que Keynn Lucans, qui est forcément un homme pragmatique et calculateur après avoir régné si longtemps, quelle que soit son opinion sur la question, acceptera, rien que pour moi, de mettre en danger des expérimentations aussi fructueuses et porteuses de tant de promesses pour l'avenir de l'Empire ?

Le visage de Samtha se décomposait à vue d'œil, mais elle n'était pas du genre à abandonner si facilement.

– Peut-être qu'il ne pourra pas te rendre justice, mais il pourra au moins t'offrir une vie plus agréable qu'ici...

De nouveau, je hochai négativement la tête.

– Maintenant que je suis au courant de tout, et ne sachant pas si je n'essayerai pas de me venger de ceux qui m'ont condamnée et qui sont, de plus, responsables de la mort de ma meilleure amie Bilana, il ne me laissera certainement pas aller et venir librement, surtout que quelqu'un pourrait me reconnaître, étant donné que les journaux ont parlé de mon affaire et publié des photos de moi. La seule option envisageable serait de m'enfermer dans une prison dorée jusqu'à la fin de mes jours, ou au minimum pendant de longues, très longues années, jusqu'à ce que je vieillisse assez pour qu'on ait oublié cette histoire et que je sois méconnaissable.

La pauvre Samtha avait les larmes aux yeux, aussi décidai-je de terminer mon propos sur une note plus positive.

– Si je dois renoncer à ma liberté sur Olydri, je préfère tenter ma chance avec cette fameuse « ascension ». J'ai bien pris note des risques que cela comportait, mais pour une fois dans ma courte vie, je veux pouvoir choisir mon destin moi-même. Je ne suis pas effrayée par l'idée d'incarner un PNJ dans un jeu bizarre d'une étrange planète située au-delà d'un mystérieux portail, parce que je sais que quoi qu'il arrive, tu t'occuperas de moi avec humanité et, je me plais à le croire, avec affection.

Cette fois, elle pleurait vraiment, et elle me serra soudainement dans ses bras.

– Si c'est ce que tu veux vraiment, je te promets que je veillerai sur toi le mieux possible. Mais je parlerai quand même de toi à l'Empereur : comme tu l'as dit toi-même, il a énormément d'expérience. Si quelqu'un peut trouver une autre solution, c'est bien lui ! Dans ce cas, j'arrêterais immédiatement ton « ascension » pour que tu puisses profiter de la vie meilleure que tu mérites.

J'acquiesçai, mais au fond de moi, je doutai qu'une telle solution existe. Quoi qu'il en soit, je voulais encore poser une importante question à Samtha.

– Peut-on choisir le genre de PNJ qu'on voudrait devenir ?

– Cela doit respecter certains critères, notamment en termes de respect de la plus grande discrétion possible. Pourquoi, tu penses à quelque chose de particulier ?

– En fait, ce que je voudrais, c'est avoir une famille aimante et que ça finisse bien pour moi, bref tout le contraire de ma vie réelle.

– Tu peux me faire confiance : j'y veillerai personnellement.

Je sais à présent que tu as tenu ta parole. Merci, chère docteur Samtha Karter, de m'avoir offert un frère à aimer autant.

Et je sais aussi, vu le temps qui a passé depuis mon arrivée dans le Plan Horizon, que le grand Empereur Keynn Lucans
lui-même n'a pas trouvé de meilleure solution que celle d'une insignifiante jeune fille ;
d'une certaine façon, j'en ressens de la fierté.

 

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Incursion dans un autre monde

14 septembre 2015

PNJ IRL #15

Une nouvelle inspirée de l'univers de Fabien Fournier, plus particulièrement de Néogicia et de Noob, mais qui peut aussi se lire sans connaître ces deux oeuvres.

Le destin étrange d'un... personnage de jeu vidéo ?

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Les semaines qui suivirent furent sans doute les plus éprouvantes que connurent les prisonniers de la base. A chaque fois qu'ils servaient à ouvrir un portail, ils étaient torturés pour récupérer un maximum d'énergie pour recharger des pierres vidées en d'autres circonstances.

Samtha trouvait cela révoltant : il devait exister un moyen moins cruel de procéder ! Hélas, ce sujet n'intéressait guère ses collègues, tout occupés qu'ils étaient à accumuler, en plus d'une source de puissance gigantesque, des connaissances sur ce nouveau monde qui s'offrait à eux. Constatant leur indifférence face à ses préoccupations, le docteur Karter se lança alors dans ses propres recherches scientifico-médicales. Il ne lui fallut qu'une dizaine de jours pour parvenir à des résultats très encourageants et beaucoup plus supportables par ses patients. Leurs analyses sanguines révélèrent une forte augmentation d'adrénaline et d'autres hormones liées aux souffrances qu'on leur infligeait. C'était sans doute la clef du phénomène qui les transformait en « piles vivantes » ; or, d'autres stimuli bien moins pénibles provoquaient des réactions similaires sans mettre leur vie en danger. Samtha réussit même à mettre en évidence qu'une alternance d'émotions négatives et positives, par exemple une grande peur suivie d'un profond soulagement, générait des capacités de réceptacle énergétique meilleures que celle produite par la seule souffrance physique, aussi intense fût-elle.

Malheureusement, un obstacle demeurait : il n'était pas facile de déclencher sur commande l'état psychique adéquat. Samtha était convaincue qu'il était possible de mettre au point un appareil capable d'interférer avec l'esprit des cobayes magiciens, puisqu'une transe hypnotique y parvenait, mais là encore, elle se heurta au manque d'intérêt des chercheurs, pour qui la torture physique représentait un moyen simple et efficace de produire l'effet désiré. De plus, ils n'utilisaient que des criminels civils ou militaires ; ces gens-là n'avaient-ils pas mérité leur sort ?

Ecœurée par ce raisonnement tellement contraire à ses convictions, Samtha, en désespoir de cause, avait fini par jouer une dernière carte qui, si elle échouait, lui coûterait certainement sa carrière : elle écrivit à l'Empereur en lui résumant la situation et en lui demandant une audience privée pour lui exposer ses arguments.

Après une angoissante semaine sans réponse, Keynn Lucans l'invita à venir lui rendre visite dans l'une de ses résidences, située dans une ville assez proche de la base. Le cœur battant la chamade, elle lui parla de sa découverte, qui pourrait considérablement améliorer le sort de ses patients – elle insista sur ce terme – tout en permettant de recueillir une quantité d'énergie équivalente, voire plus élevée. Bien sûr, cela nécessitait de prendre le temps de développer une interface efficace pour agir sur les émotions des catalyseurs de puissance – c'était désormais l'expression officielle pour désigner les cobayes humains – mais au final, cela n'apporterait que des bénéfices. Certes, il semblait plus simple, dans l'immédiat, d'employer la douleur physique comme vecteur, mais l'Empire pouvait-il vraiment asseoir son pouvoir sur la torture sans remettre en question ses valeurs fondamentales ?

Suite à son exposé et surtout à sa dernière tirade, Samtha se sentit soudainement épuisée, les mains tremblantes, dans l'attente de la décision de l'Empereur... jusqu'à ce que sa réponse la regonfle à bloc : il acceptait de donner suite à sa proposition et, mieux encore, il la félicitait pour l'humanité dont elle faisait preuve face à la tâche si difficile qu'il lui avait confiée !

Ce fut le début d'une nouvelle ère pour le docteur Karter. Maintenant qu'elle avait le soutien de l'Empereur, on prêta à ses théories une oreille infiniment plus attentive. Un brillant spécialiste du psychisme, Erasm Mentä, vint bientôt renforcer les rangs des chercheurs de la base. Seulement trois mois après son arrivée, il mit au point le premier générateur virtuel d'émotions. Le plus étonnant, c'est que pour y parvenir, il s'inspira des fameux MMORPG de la Terre, qui étaient précisément conçus pour procurer des émotions aux millions de joueurs qui se passionnaient pour les aventures de leurs avatars.

Il ne se moqua pas non plus de Samtha lorsqu'elle se décida à lui parler de cette idée bizarre qui lui trottait dans la tête depuis que l'un des prisonniers était accidentellement entré dans l'esprit d'un Terrien endormi et qu'il lui avait transmis des données sur Olydri. Depuis ce mystérieux incident, le Terrien en question, dont l'ambition était justement de créer un de ces MMORPG si populaires, faisait l'objet d'une surveillance régulière, toujours quand il était éveillé, pour minimiser les risques d'un autre contact involontaire qui aurait pu le faire douter qu'il ne s'agisse que d'un rêve étrangement réaliste. Mais... que se passerait-il si ce contact, au lieu d'être involontaire, était au contraire parfaitement contrôlé ? Ne pourrait-on pas imaginer influencer subtilement son esprit inconscient, de manière à ce qu'il crée un monde virtuel à l'image du véritable monde d'Olydri ? Ce pourrait être la cachette parfaite pour y camoufler des catalyseurs de puissance, sous l'apparence de PNJ soumis indéfiniment à des flots répétitifs d'émotions contrastées, récupérant ainsi un maximum d'énergie technomagique sans se faire repérer !

Cette « idée folle » enthousiasma Erasm Mentä, qui déclara qu'il fallait sans attendre en parler à l'Empereur. Avant d'en arriver là, Samtha tint à partager ce plan un peu hasardeux avec Saryü : qui, mieux que celui qui était entré en contact avec l'esprit du Terrien, pourrait donner un avis valable sur sa faisabilité ? De fait, le prisonnier fut très intéressé par ce projet, d'autant que depuis ce premier contact, il espérait secrètement avoir une nouvelle occasion d'établir un lien avec un habitant de cet autre monde qu'il avait entrevu. Il était convaincu de sa capacité à influencer les « songes » du Terrien à sa guise ; il faut dire que ses pouvoirs magiques s'exerçaient précisément dans le domaine de la télépathie et du contrôle mental.

Mis au courant, Keynn Lucans prit le temps de réfléchir avant de donner son accord. Il rappela avec insistance la nécessité absolue de ne pas se faire repérer par les Terriens, que ce soit le concepteur de MMORPG ou n'importe quel autre. Un seul faux-pas à ce niveau signerait l'arrêt immédiat de l'utilisation du portail pour de très, très nombreuses années, et accessoirement la mise au secret de tous les participants, chercheurs comme cobayes.

Heureusement, ses craintes se révélèrent vaines. Avec l'aide d'Erasm et de Samtha, Saryü parvint à instiller progressivement des connaissances sur Olydri durant les périodes de sommeil du Terrien, qui ne se douta jamais qu'il pouvait s'agir d'autre chose que de rêves particulièrement inspirants.

En revanche, il lui fallut du temps, beaucoup de temps, pour finaliser ce MMORPG... Samtha n'en revenait pas que concevoir un jeu puisse être aussi long ni mobiliser autant de personnes, non seulement pour peaufiner les quêtes qui devraient captiver les joueurs, mais aussi pour résoudre d'innombrables difficultés techniques, pour rendre ce monde virtuel aussi réaliste et immersif que possible, selon les termes consacrés que Saryü expliquait au fur et à mesure.

Cela dura si longtemps que Samtha me dit que cela faisait à peine quelques mois que le MMORPG avait été lancé, sous le nom d'Horizon.

 

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Incursion dans un autre monde

7 septembre 2015

PNJ IRL #14

Une nouvelle inspirée de l'univers de Fabien Fournier, plus particulièrement de Néogicia et de Noob, mais qui peut aussi se lire sans connaître ces deux oeuvres.

Le destin étrange d'un... personnage de jeu vidéo ?

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Toutefois, quelles que soient son implication et ses convictions à propos de la technomagie, Samtha avait une opinion bien différente de ses collègues quant à l'usage éventuel de ces fameux MMORPG.

Il faut dire que son rôle avait été, dès le départ, quelque peu éloigné de celui des autres chercheurs. Là où ils ne s'occupaient généralement que d'efficacité, de rentabilité, d'optimisation des systèmes et des machines sur lesquels ils travaillaient, sa mission était au contraire d'essayer d'améliorer les conditions de vie des cobayes humains qu'ils utilisaient. Keynn Lucans, qui procédait bien sûr lui-même au recrutement du personnel de sa base ultrasecrète, l'avait choisie pour ses compétences reconnues de médecin militaire.

A ce moment de son récit, le docteur Karter fit un petit aparté me concernant directement. C'est grâce à ses anciennes relations au sein de l'armée qu'elle avait pu vérifier la véracité de mon histoire, en contrôlant simplement deux éléments.

Le premier, c'était ma date de naissance, qui différait de pratiquement deux ans entre ma version des faits et celle de mon dossier judiciaire. Elle avait demandé à un ami travaillant aux archives militaires de procéder discrètement à quelques recherches au sujet d'un village frontalier attaqué et incendié par la Coalition, environ seize ou dix-huit ans plus tôt. Le résultat avait été sans équivoque : d'après les rapports de l'époque, écrits de la main même du courageux capitaine qui m'avait sauvée des flammes, les faits dataient d'à peine plus de seize ans. Je n'avais donc pas menti sur ce point, et j'en avais sans doute deviné la raison, à savoir prétendre que j'étais majeure pour pouvoir me condamner à la peine capitale.

Le deuxième élément était à propos du fameux général si célèbre pour ses hauts faits au combat, dont j'avais affirmé avoir vu le nom dans le carnet secret où madame Hétaira recensait ses clients et leurs préférences sexuelles. Pour en apprendre plus sur lui sans attirer l'attention, Samtha s'était rendue à une fête donnée par son ancien chef de service, où elle était considérée comme invitée permanente et où elle se rendait quelquefois pour se changer les idées. Ces fêtes étaient toujours fréquentées par des hauts gradés, dont elle connaissait la plupart pour avoir soigné leurs blessures. Elle avait feint de boire autant qu'eux et avait manœuvré leur conversation sur le chemin tortueux mais ô combien apprécié de la rumeur, avant de citer incidemment le nom du général en question. Il ne lui avait pas fallu longtemps pour apprendre que les bruits courant sur son compte parlaient effectivement d'être le petit toutou que ces dames punissaient s'il n'était pas bien obéissant...

Après ces révélations, elle n'avait plus eu le moindre doute sur le fait que j'avais réellement été victime d'un complot pour me faire taire définitivement. D'ailleurs, elle avait peut-être un plan pour me réhabiliter, mais malgré mon intérêt sur ce point, je la priai de d'abord terminer ses explications sur le mystérieux Plan Horizon, qui exerçait sur moi une irrésistible fascination. Quand même, une autre planète, et la technomagie, ce n'était pas rien ! Ma propre affaire pouvait attendre encore un peu.

Revenant donc à sa nomination à la base, Samtha m'avoua que les premiers temps avaient été plutôt difficiles pour elle, au point qu'elle avait failli demander sa mutation tant elle se sentait mal à l'aise dans ses fonctions. Je compris aisément ses raisons : avant cela, elle s'occupait de soigner des blessés de guerre, elle sauvait des vies de l'horreur meurtrière des champs de bataille, alors qu'ici, elle ne pouvait qu'essayer de soulager des êtres qui n'avaient plus d'humains que le nom, traités comme des animaux de laboratoire, voire réduits à l'état d'objets utilisables puis jetables et remplaçables une fois hors d'usage... Rien d'étonnant à ce que sa conscience de médecin en ait été ébranlée, même en connaissant les enjeux cruciaux de ces expérimentations pour l'Empire qu'elle servait fidèlement !

Et pourtant, si elle avait finalement décidé de rester en dépit de ses réticences, ce fut précisément pour ces malheureux cobayes qu'elle ne pourrait jamais vraiment sauver. Elle pensait n'être pour eux qu'un pis-aller, celle qui ne les remettait sur pied que pour qu'ils soient réutilisés, mais elle découvrit avec stupeur qu'ils ne partageaient pas du tout cette opinion. Cela eut lieu au bout d'environ six mois, quand il devint évident pour tout le monde qu'elle peinait de plus en plus à supporter sa tâche à la base et qu'elle n'allait sans doute pas tarder à partir. Cela ne surprit d'ailleurs personne : avant elle, les autres médecins affectés à cette mission avaient tous rapidement déclaré forfait. C'est alors que, sans s'être concertés, puisqu'ils étaient isolés dans leur cellule quand ils n'étaient pas sur une table d'expérience, plusieurs prisonniers l'avaient suppliée de ne pas les abandonner. Ils lui dirent qu'elle était la seule, même pour ceux qui avaient vécu assez longtemps pour avoir connu ses prédécesseurs, qui manifestait envers eux respect et compassion. Grâce à elle, ils avaient retrouvé un peu de la dignité humaine qui leur faisait si cruellement défaut depuis leur arrivée dans cette prison maudite.

Après mûre réflexion, Samtha avait donc accepté de porter ce pesant fardeau. Toutefois, elle me confia que le jour où elle ne verrait plus que des criminels condamnés à mort ou des ennemis capturés, à la place d'hommes et de femmes souffrant du douloureux esclavage qu'on leur faisait subir au nom du progrès de la science, elle quitterait aussitôt la base pour préserver ce qui subsisterait de sa propre humanité.

Pour le moment en tout cas, elle ne regrettait pas son choix, d'autant qu'elle était à l'origine d'un considérable progrès pour le sort des malheureux qu'elle protégeait de son mieux.

Elle avait rejoint la base environ un an avant l'ouverture plus ou moins accidentelle du premier portail. Durant cette période, ainsi qu'elle venait de me l'expliquer, elle avait dû se contenter de soulager les souffrances de ses patients. Cela avait même empiré après cette découverte : à la deuxième tentative en effet, rien ne s'était produit. En analysant précisément les conditions dans lesquelles les deux expériences s'étaient déroulées, il était ressorti que la seule différence, c'est que dans le premier cas, la rosaphir s'était emballée et que son flux d'énergie avait traversé le corps du cobaye.

Le professeur Akson s'inquiéta vivement de cette conclusion : s'il fallait à chaque fois qu'une rosaphir se décharge pour pouvoir ensuite être rechargée, l'utilité du dispositif en serait fortement compromise... Fort heureusement – en tout cas pour lui – il fut très vite établi, au cours des tests suivants, que le problème ne provenait pas de la pierre mais de l'individu utilisé comme lien entre les flux magiques imprégnant Olydri et la technologie mise en œuvre. Apparemment, c'est la douleur engendrée par le brutal déversement d'énergie qui avait déclenché la réaction permettant au corps du supplicié de devenir une sorte de catalyseur de puissance compatible avec la rosaphir.

 

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