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Feuilleplume
30 juin 2015

PNJ IRL #4

Une nouvelle inspirée de l'univers de Fabien Fournier, plus particulièrement de Néogicia et de Noob, mais qui peut aussi se lire sans connaître ces deux oeuvres.

Le destin étrange d'un... personnage de jeu vidéo ?

Pour les néophytes : PNJ = "personnage non joueur" d'un jeu vidéo, qui donne généralement une quête au héros incarné par le joueur et répète toujours les mêmes phrases.
IRL = "in real life" ("dans la vie réelle")

DEBUT

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Pour enquêter convenablement sur ce mystère, je me munis d'un petit carnet et d'un crayon pour noter chaque indice que je relèverai. Au départ, j'avais aussi pris une loupe, comme l'héroïne détective de ma série de livres préférée, mais les remarques moqueuses de mes camarades me firent rapidement renoncer à cet accessoire. Il allait falloir que je me contente d'une approche plus discrète si je voulais éviter d'attirer l'attention de mes cibles...

Mes premières observations jouaient plutôt en ma faveur : le groupe des privilégiés – pour garder le secret si jamais mon carnet tombait entre de mauvaises mains, je les désignais simplement par la lettre « P » – était composé de beaucoup plus de filles que de garçons. Les ayant soigneusement comptés à trois reprises, j'inscrivis donc « P = 2 G + 7 F ». Statistiquement, cela augmentait mes chances de rejoindre leurs rangs et de me régaler de délicieux gâteaux !

En revanche, mon constat suivant me découragea un peu. Je me rendis en effet compte que tous les heureux élus étaient en dernière année d'études obligatoire, celle où l'on fêtait sa majorité et, surtout, à la fin de laquelle on recevait un petit pécule impérial avant de devoir quitter l'orphelinat pour vivre librement sa vie. On nous avait expliqué que si on avait le niveau pour s'engager dans des études supérieures, l'Empire pouvait accorder des prêts à taux très avantageux, voire octroyer des bourses aux individus particulièrement doués. Mais cela ne me concernait pas encore : il me restait un an et demi de cours avant d'accéder à cette fameuse dernière année... Autrement dit, je n'avais pas fini de lorgner avec envie la table des privilégiés !

Je m'étais résignée à attendre mon heure quand, quelques semaines plus tard, se produisit un événement qui remit tout en cause : l'une des filles de ma classe, Bilana, devint la huitième « F » des « P » dans mon petit carnet. Evidemment, je ne pouvais pas laisser passer une telle occasion d'en savoir plus. Cela tombait d'autant mieux que nous étions de bonnes copines. Pour être honnête, ce n'est pas que je recherchais activement son amitié, mais j'étais l'une des rares personnes à ne m'être jamais moquée d'elle, et je savais qu'elle m'appréciait pour cela.

La plupart des autres ne se montrait guère charitable avec cette pauvre Bilana. Il faut dire que son extrême naïveté et sa trop grande gentillesse faisaient d'elle une cible facile pour les lâches qui trouvent amusant de s'en prendre aux faibles. J'avais ces minables en horreur. Ils me faisaient penser à ceux qui avaient brutalement assailli mon village natal et qui s'étaient enfuis, la queue entre les jambes, pour éviter la punition qu'ils méritaient pour leurs crimes. Les méfaits de mes « camarades » n'étaient peut-être pas aussi graves, mais ils avaient le même état d'esprit : s'attaquer aux gens sans défense et s'arranger pour s'en tirer. Le reste n'était qu'une question de circonstances.

Je n'eus donc pas beaucoup de mal à interroger Bilana sur son nouveau statut de favorite de madame Hétaira. Au départ, elle tenta de résister en me disant que c'était un secret et qu'elle avait promis de n'en parler à personne d'extérieur au groupe des privilégiés. J'eus tôt fait de la convaincre que je ne voulais pas qu'elle me raconte tout, mais simplement qu'elle me donne quelques indices sur ce qui m'attendait, puisque je comptais tout mettre en œuvre pour en faire partie. Elle me révéla des éléments très intéressants que je m'empressai de noter dans mon précieux carnet de détective.

Apparemment, Giovan, l'un des deux garçons de la bande, s'était entiché d'elle et avait intercédé en sa faveur auprès de la directrice. Je n'en fus pas étonnée. Bilana était la plus jolie fille de notre classe, et elle avait surtout des « arguments » qui ne laissaient pas la gent masculine indifférente...

A ce que je déduisis de ses maladroites tentatives de ne pas trop m'en dire pour respecter sa promesse, il s'agissait d'un programme de sélection que madame Hétaira avait mis au point pour aider « les jeunes méritants » à entrer dans « la bonne société ». Bilana n'en savait pas davantage pour le moment, mais elle me répéta, au moins à quatre reprises, à quel point elle lui était reconnaissante de lui donner sa chance, alors qu'elle savait bien qu'elle n'était pas très intelligente. Désolée de voir qu'elle avait cette mauvaise opinion d'elle-même, je lui assurai qu'au contraire, c'était une chance pour les autres de connaître quelqu'un d'aussi gentil et généreux qu'elle. Elle fut si touchée qu'elle fondit en larmes et me serra dans ses bras en me promettant qu'elle me tiendrait au courant dès qu'elle en saurait plus et que, quand elle serait bien intégrée au groupe, elle parlerait de moi à la directrice. Elle m'affirma même qu'elle serait vraiment heureuse d'avoir une amie telle que moi auprès d'elle, ce qui m'émut à mon tour, si bien que nous finîmes par sangloter toutes les deux en échangeant un serment d'amitié et de soutien mutuels.

Il me fallut attendre deux interminables semaines avant que Bilana puisse enfin m'en apprendre plus sur le mystérieux programme de madame Hétaira. Cette fois, je n'eus même pas besoin de l'interroger plus ou moins subtilement. Elle était tellement surexcitée par l'expérience qu'elle avait vécue la veille qu'elle brûlait de tout me confier. En fait, le plus difficile fut de parvenir à remettre un peu d'ordre dans ce qu'elle me racontait, car elle sautait sans cesse d'un épisode à l'autre, revenait en arrière pour préciser un point qu'elle avait oublié, s'attardait sur un détail sans le moindre intérêt...

A ce que je compris, la directrice avait emmené son groupe de chouchous dans une soirée mondaine qui avait lieu dans une luxueuse demeure pas très loin de l'orphelinat. Ce dernier était en effet construit sur le flanc d'une colline un peu à l'écart d'un magnifique lac, où les citadins fortunés de Centralis s'étaient fait édifier de somptueuses résidences de vacances, à seulement une heure de glisseur de la capitale. C'est dans l'une d'elles que la fameuse soirée avait été organisée. A en croire Bilana, tout était absolument fantastique : la maison, le jardin, la piscine, la nourriture, les boissons, les tenues, bijoux, coiffures des riches invités... Il y avait même un groupe de musiciens, et des lumières de toutes les couleurs, et des statues devant des buissons, et plein de tableaux avec des gros cadres dorés, et des tapis trop beaux, et... Je parvins à interrompre cette description un peu trop complète à mon goût. Le bureau de madame Hétaira me suffisait largement à me faire une idée du luxe tapageur qui avait visiblement fasciné mon amie !

Je demandai à Bilana de me raconter ce qu'elle avait fait et non ce qu'elle avait vu. En assemblant les « pièces du puzzle » de son récit, je pus reconstituer à peu près le déroulement de la soirée. En fin d'après-midi, madame Hétaira avait réuni son petit troupeau de favoris. Elle leur avait fait servir une collation, puis les avait priés de revêtir les tenues qu'elle avait sélectionnées pour eux. J'eus du mal à détourner Bilana de son enthousiasme à propos de la robe qu'on lui avait choisie et à reprendre le cours de son histoire ! Une fois chacun paré de ses beaux atours, il y avait encore eu, avant le départ tant attendu, l'étape maquillage, l'étape coiffure, l'étape parfum et, enfin, l'étape du dernier rappel des consignes à respecter impérativement. Elles n'étaient pas très nombreuses, mais la directrice les faisait rabâcher sans cesse à ses protégés.

Un : ne pas trop parler, ni boire, ni manger.

Deux : être toujours souriant, poli et surtout très, très gentil.

Trois : obéir sans discuter aux ordres de madame Hétaira.

Quatre : garder le secret absolu par rapport à ceux qui ne faisaient pas partie du groupe des élus. A ces mots, Bilana parut un peu gênée, aussi m'empressai-je de la rassurer en lui affirmant que j'en serais très bientôt membre. Elle sembla soulagée et continua son rapport.

Ils étaient donc partis, une fois convenablement préparés, pour se rendre à une fête donnée par une personne riche et influente dont, en fait, ils ignoraient le nom et la qualité. Ils avaient été accueillis de façon charmante. On les avait fait danser, boire et manger – pas trop – puis des petits groupes s'étaient formés et dispersés dans la propriété. Bilana s'était alors retrouvée avec madame Hétaira, qui la surveillait de près, et une demi-douzaine d'hommes des plus aimables. Ils s'étaient confortablement installés sur des divans et des fauteuils et avaient devisé de choses et d'autres – enfin, surtout la directrice et ces messieurs, puisque Bilana avait veillé à appliquer scrupuleusement la première règle. Après environ deux heures de conversation, les autres les avaient rejoints petit à petit. Quand le groupe fut au complet, on prit congé très poliment et on retourna à l'orphelinat.

Une dernière merveilleuse surprise attendait Bilana. Chacun venait d'ôter sa belle tenue de soirée et de remettre ses vêtements quotidiens. Cependant, avant d'envoyer ses favoris dans leur chambre pour le reste de la nuit, madame Hétaira leur avait offert des cadeaux. A priori, c'était le cas à chaque sortie, sauf bien sûr pour ceux qui se seraient mal conduits, mais ce soir-là, tout le monde s'était bien comporté et avait donc droit à son présent. Fièrement, Bilana me montra le sien : une ravissante petite bague dont la directrice lui avait assuré qu'elle était plaquée en vrai or et incrustée de vrais éclats de diamant !

Les semaines suivantes, les « 10 P » participèrent ainsi à bon nombre de ces rendez-vous. Cela n'avait rien d'étonnant : la saison touristique battait son plein et les fêtes se multipliaient tout autour du lac. Bilana me fit le compte rendu de chaque soirée, ce qui n'était pas difficile puisque dans le fond, elles se ressemblaient toutes.

A force de parler toutes les deux et de partager un secret, nous finîmes par devenir très amies. J'avais presque l'impression d'avoir une sœur. Bilana m'offrit même la petite bague qu'elle avait reçue en cadeau suite à sa première soirée. Je voulus refuser, mais elle insista en disant qu'en échange, je pourrai lui donner le premier cadeau que j'aurai lorsque je rejoindrai enfin le groupe. D'ailleurs, elle avait parlé de moi à madame Hétaira, sans lui avouer qu'elle m'avait tout révélé, bien sûr, en raison de la règle numéro quatre ! Je fus très heureuse d'apprendre que la directrice avait répondu qu'elle allait étudier la question dans les semaines à venir, car il lui semblait qu'en effet, j'étais une fille sage et gentille comme elle en recherchait pour son « programme de rapprochement social ». J'avais bien fait de ne pas trop me plaindre des nouveaux menus de la cantine... Inutile de dire qu'à partir de ce moment, je fis en sorte de me montrer sous mon meilleur jour !

Tout s'annonçait donc sous les meilleurs auspices quand soudain, et sans que je comprenne pourquoi, la situation changea radicalement.

 

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Incursion dans un autre monde

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