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Feuilleplume
6 juillet 2015

PNJ IRL #5

Une nouvelle inspirée de l'univers de Fabien Fournier, plus particulièrement de Néogicia et de Noob, mais qui peut aussi se lire sans connaître ces deux oeuvres.

Le destin étrange d'un... personnage de jeu vidéo ?

Pour les néophytes : PNJ = "personnage non joueur" d'un jeu vidéo, qui donne généralement une quête au héros incarné par le joueur et répète toujours les mêmes phrases.
IRL = "in real life" ("dans la vie réelle")

DEBUT

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Le lendemain d'une de ces fameuses soirées, je ne vis pas Bilana à la table des privilégiés pour le petit-déjeuner. Sitôt le service achevé, je me rendis à sa chambre, pensant qu'elle était sans doute souffrante. Peut-être avait-elle pris froid dans la robe courte et légère que lui faisait porter madame Hétaira ? Je frappai à la porte en lui disant que c'était moi ; pas de réponse. J'essayai d'ouvrir, mais rien à faire. Elle avait dû bloquer la porte avec une chaise ou un truc du genre, car nos chambres n'avaient pas de clef ni de serrure. J'insistai encore, sans trop élever la voix : ce n'était pas le moment de me faire remarquer en mal et que ça remonte aux oreilles de la directrice !

Finalement, j'optai pour la ruse. Je dis à Bilana que si elle ne m'ouvrait pas tout de suite, j'irais chercher des renforts pour qu'ils défoncent sa porte. Je n'avais évidemment aucune intention de mettre ma menace à exécution, mais comme je le pensais, mon plan fonctionna grâce à la naïveté de mon amie. J'entendis un bruit de meuble qu'on traîne sur le sol et enfin, la porte s'ouvrit pour me laisser entrer. Dès que je fus à l'intérieur, Bilana referma la porte et la coinça à nouveau en repoussant son bureau devant. Je posai un petit paquet dessus, contenant quelques tartines que j'avais discrètement subtilisées à la cantine. Toutefois, Bilana ne sembla pas intéressée par mon butin, car elle alla se blottir dans son lit et rabattit le drap par-dessus sa tête.

Il faisait très sombre dans la chambre, aussi allai-je tirer un rideau pour faire entrer un peu de lumière, sans toutefois risquer d'éblouir la malade. Bilana m'avait en effet confié qu'elle souffrait parfois de migraines et que dans ces cas-là, elle ne supportait pas de lumière trop vive ni de bruit trop fort. Je m'approchai donc d'elle en marchant sur la pointe des pieds, et c'est en murmurant que je lui demandai comment elle se sentait et si elle voulait que j'aille chercher l'infirmière.

Elle ne répondit qu'elle ne voulait voir personne et que tout allait bien, mais les gros sanglots qui la secouaient rendaient ses propos peu crédibles. Toutefois, puisqu'elle ne semblait pas malade à proprement parler, j'explorai une autre piste pouvant expliquer son état. Elle s'était peut-être disputée avec quelqu'un, ou quelque chose s'était peut-être mal passé lors de la soirée de la veille ? Ses sanglots redoublèrent d'intensité à mes questions, ce qui me fit supposer que j'étais sur la bonne voie. Cependant, malgré mes efforts de persuasion, Bilana refusa de m'en dire davantage.

Je finis par renoncer et par décider de la laisser seule pour qu'elle se calme un peu. Pour l'y encourager, je lui rappelai qu'elle avait intérêt à se montrer raisonnable pour faire honneur au groupe dont elle faisait partie, car c'était une grande chance que lui offrait là madame Hétaira. Ces mots eurent un impact radical sur mon amie, qui s'assit brusquement dans son lit, le visage blême et crispé, les cheveux en bataille, mais sans plus pleurer ni gémir. Rassurée de voir qu'elle semblait reprendre ses esprits, je m'approchai d'elle pour l'embrasser avant de partir. Elle accepta de me faire la bise.

Je lui apportai alors les tartines que j'avais déposées sur le bureau, me disant que manger l'aiderait certainement à reprendre des forces et à se remettre de ses émotions. En tout cas, c'est comme ça que ça marchait pour moi. Elle prit le petit paquet docilement, mais soudain, elle me saisit la main, rivant ses yeux rougis dans les miens. Dans un murmure, elle me dit qu'il fallait que je me méfie et que certains cadeaux étaient empoisonnés. Après cette déclaration bizarre, elle ne voulut plus prononcer un mot, aussi la laissai-je tranquille, bien décidée néanmoins à tirer cette histoire au clair.

De fait, le hasard fit qu'il ne me fallut guère de temps pour découvrir ce qui me sembla l'explication logique de l'étrange comportement de Bilana. En sortant de sa chambre, je jetai machinalement un coup d'œil par la fenêtre du bout du couloir, et je surpris un spectacle des plus révélateurs. Giovan, le petit ami de Bilana, était en train d'embrasser une fille de dernière année ! Tout s'éclaira dans mon esprit. La pauvre avait dû s'apercevoir de sa trahison, et devoir assister avec ce sale type à une fête, où elle était obligée de faire bonne figure, avait vraiment dû être éprouvant pour elle... Pas étonnant qu'elle soit aussi déprimée !

Les jours suivants, j'aurais bien voulu la soutenir dans cette douloureuse épreuve, mais elle était toujours accompagnée de l'une ou l'autre des autres filles du groupe des « P ». J'eus plusieurs fois envie de leur dire de nous laisser seules un moment pour discuter, mais je n'osai pas, par crainte de gâcher mes chances d'être sélectionnée par madame Hétaira.

Je crois que jusqu'à mon dernier souffle, je me demanderai si le destin de mon amie aurait pu connaître une autre issue,
si j'avais fait preuve de moins d'égoïsme et de lâcheté...

Environ deux semaines plus tard, je fus réveillée par des cris et des bruits de course dans les couloirs. Encore à moitié endormie, je sortis de ma chambre en pyjama, sans même prendre le temps de me coiffer un peu. L'une de mes camarades de classe se précipita vers moi, en pleurs. Quand elle m'expliqua la raison de cette agitation, je tombai à genoux et me mis à pleurer à mon tour. Ma chère Bilana avait été retrouvée morte dans son bain après s'être ouvert les veines...

Abasourdie, je restai là je ne sais combien de temps, sans trouver la force de me relever, le cœur débordant de larmes intarissables. Plus tard dans la journée – ou était-ce le lendemain ? – je fus autorisée à aller rendre un dernier hommage à mon amie. On l'avait étendue sur son lit, vêtue de sa robe préférée. Dans ses mains croisées sur sa poitrine, quelqu'un avait glissé un joli bouquet de fleurs blanches. Elle aurait presque paru dormir, à part son teint d'une pâleur de cire.

Une émotion d'une insoutenable intensité m'envahit tout à coup, faite de désespoir et d'impuissance rageuse mêlés. En pleurant et en criant, je serrai une dernière fois ma chère Bilana dans mes bras, son pauvre corps tout froid que la vie n'animerait plus jamais... On me raconta, après coup, que les deux surveillants affectés à la garde de la chambre avaient eu le plus grand mal à me détacher d'elle. L'infirmière, appelée en urgence, dut m'injecter un puissant sédatif pour parvenir à me calmer avant qu'on ne me transporte, à demi évanouie de chagrin, jusqu'à mon lit où le somnifère me fit bientôt sombrer dans un lourd sommeil sans rêve.

Le lendemain, quand je parvins à émerger, la matinée était déjà bien avancée. J'eus la surprise de découvrir un homme que je ne connaissais pas assis à mon bureau, ainsi que madame Hétaira. La directrice m'expliqua qu'il s'agissait d'un monsieur de la police, dont je ne retins pas le nom dans mon état d'hébétude, et qu'il était là pour mener une enquête de routine sur les circonstances du geste tragique de Bilana. Comme tout le monde savait que j'étais sa meilleure amie, il était donc tout à fait normal qu'il veuille m'interroger en priorité.

Je fis mine d'accepter volontiers de répondre à ses questions, mais en fait, je me gardai bien d'aborder le « programme de rapprochement social ». Après tout, cela n'avait rien à voir avec la mort de mon amie, et je ne voulais pas gâcher ma chance en trahissant ce secret devant madame Hétaira ! En revanche, je lui parlai de son terrible chagrin d'amour dû à l'infidélité de Giovan et j'insistai sur le fait que j'avais constaté à quel point cela lui avait brisé le cœur. Tant pis si cela causait des ennuis à ce sale type, il l'avait bien mérité ! Jouer de cette manière avec les sentiments des autres, c'était tellement cruel...

Mon interrogatoire dura environ une demi-heure, puis l'enquêteur me remercia pour les éléments essentiels que je lui avais fournis pour expliquer cette si triste affaire. La directrice ajouta que je rendais hommage à la sensibilité de Bilana en éclairant les raisons de son geste fatal et que je pouvais être fière de l'amitié qui nous liait. Cela m'émut profondément, mais l'infirmière veillait au grain et m'administra une nouvelle dose de calmant avant que je ne refasse une crise de larmes.

 

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Incursion dans un autre monde

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